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Compter les globules blancs, analyser les partitionsMathieu Giraud
To cite this version:Mathieu Giraud. Compter les globules blancs, analyser les partitions. Informatique [cs]. Universitéde Lille 1 – Sciences et Technologies, 2016. �tel-01577763�
École Doctorale Sciences pour l’Ingénieur (SPI)
Centre de Recherche en Informatique, Signal et Automatique de Lille
CRIStAL, UMR 9189 CNRS, Université de Lille
Centre de Recherche Inria Lille
Compter les globules blancs,
analyser les partitions
Habilitation à diriger des recherches
présentée par
Mathieu Giraud
soutenue publiquement le 30 mars 2016 devant le jury composé de
Gérard Assayag, rapporteur Directeur de l’UMR STMS 9912, Ircam, Paris
Pierre Boulet Professeur, Université Lille 1
Frédéric Davi Professeur PUPH, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris
Alain Denise, rapporteur Professeur, Université Paris-Sud
Thierry Lecroq, rapporteur Professeur, Université de Rouen
François Pachet Directeur du Sony CSL Labs, Paris
Hélène Touzet, garante Directrice de recherche, CNRS, CRIStAL, Lille
2
Figure 0.1 – Début du manuscrit de la fugue en Mi [ majeur BWV 852 de Jean-Sébastien Bach (1722).
Un énorme merci à tous mes collègues des équipes Bonsai et Algomus, ainsi qu’à toutes lespersonnes citées ou non dans ce document qui m’ont accompagné durant ces quinze années derecherche. Merci en particulier à ceux qui ont commenté des parties de ce mémoire, en tout premierlieu Marion et Mikaël, ainsi que Florence, Maude, Tatiana, Valérie et Yann.
à Marion, Mariette, Marcellin, Marguerite et Maximine,
Lille, le 29 janvier 2016
3
1 Prélude 5
I Compter les globules blancs, Vidjil 9
2 Immunologie et oncologie 11
2.1 Hématopoïèse et recombinaison V(D)J . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
2.2 Diagnostic et suivi des leucémies aiguës lymphoblastiques . . . . . . . . . . . . . . 13
2.3 Séquençage à haut-débit de répertoire immunologique (Rep-Seq) . . . . . . . . . . 16
3 Algorithmes pour l’analyse des recombinaisons V(D)J 19
3.1 Défis de l’immunoinformatique et des études Rep-Seq . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
3.2 Méthodes classiques et haut-débit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
3.3 Regrouper, puis compter et analyser : une nouvelle approche pour l’analyse haut-débit 22
3.4 Analyse multi-locus et recombinaisons incomplètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
4 Développement, évaluation et mise en production de Vidjil 27
4.1 L’analyse haut-débit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
4.2 L’application web . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
4.3 Le serveur et la base de données d’échantillons et de patients . . . . . . . . . . . . 31
4.4 Développement, intégration continue, mise en production . . . . . . . . . . . . . . 31
5 Vidjil : usages, analyse de données et résultats 33
5.1 Utilisations du serveur de test app.vidjil.org . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
5.2 Diagnostic des leucémies aiguës lymphoblastiques (Lille) . . . . . . . . . . . . . . . 35
5.3 Suivi des leucémies aiguës lymphoblastiques (Lille) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
5.4 Estimation de la diversité du répertoire (Prague) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
6 Perspectives 39
6.1 Algorithmique des recombinaisons V(D)J . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
6.2 Développement, diffusion et transfert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
4
II Analyser les partitions, Algomus 43
7 Analyse musicale, analyse musicale computationnelle 45
7.1 Pourquoi analyser des partitions musicales ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46
7.2 Analyse et synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
7.3 L’analyse musicale computationnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
7.4 Algomus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
8 Algorithmes d’analyse musicale 55
8.1 Analyse locale, analyse globale ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
8.2 Analyse locale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
8.2.1 Analyse locale : motifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
8.2.2 Analyse locale : strates polyphoniques, texture . . . . . . . . . . . . . . . . 58
8.2.3 Analyse locale : harmonie et cadences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
8.3 Analyse globale : vers l’analyse de formes musicales . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
9 Développement, visualisation et évaluation 69
9.1 Quelques logiciels existants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
9.2 Modélisation, développement et visualisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
9.3 Évaluation et analyses de références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
10 Perspectives 77
10.1 Algorithmique musicale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
10.2 Développement et objectifs sociétaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Coda 81
11 Médiation scientifique et artistique 83
11.1 Ateliers à la rencontre du public . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
11.2 Projets arts et science . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
12 Bilan 89
13 Bibliographie 91
13.1 Publications auxquelles j’ai contribué . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
13.2 Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
14 Figures et tables 99
1
Prélude
Séquences de caractères. Qui a affirmé que « Rien n’a de sens en biologie, si ce n’est à lalumière de l’évolution » ? Tous les jours ou presque, nous demandons à notre mémoire, à notre dic-tionnaire ou, accessoirement, à un moteur de recherche de trouver des informations correspondantà une requête. Le plus souvent, on cherche parmi un ensemble de documents connus, ou indexés,ceux qui vont contenir cette requête. Dans le cas le plus général, la requête tout comme les docu-ments sont des séquences de caractères, c’est-à-dire des suites de symboles pris dans un alphabet.Alphabets et séquences ne sont pas limités aux textes de nos langues usuelles :
Alphabet Exemples de séquences (appelées encore mots){a, b} mot vide "
aaaababaaabbba
26 lettres de l’alphabet latin maisonortografekgjsnipachjoehqarwr
caractères Unicode Le petit chat est mort.Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος,MI8675drm-IB A,Bg!5061sekwaF-xQJ àZinJ+bla bibliothèque d’Alexandrie
chiffres de 0 à 9 0328778554
la suite infinie des décimales de ⇡
nucléotides de l’ADN {A, C, G, T} CAGCATCACGACTACGACATCAGTATle génome humain (3 milliards de nucléotides)
notes de musique {Do, Ré, Mi, Fa, Sol, La, Si} Sol Do Si Ré Do Sol Mi La Fal’intégrale des œuvres de J.-S. Bach
Distance d’édition entre séquences de caractères. Certaines séquences de caractères sontsimilaires, sans être égales. Un correcteur orthographique intégré à un traitement de texte doitidentifier des mots « proches » de mots tels que ortografe. Lorsqu’on utilise un moteur de re-cherche, on souhaite trouver des documents pertinents, même s’ils ne correspondent pas exactementà la requête. Ces approximations ne se limitent pas aux textes – qui n’a jamais voulu retrouver unechanson ou une pièce de musique à partir d’une mélodie vaguement fredonnée ? Comment forma-liser le fait que certaines séquences soient proches – ou non – d’autres séquences ? En 1965, alorsqu’il travaillait sur les codes correcteurs d’erreur, Levenshtein propose ce qu’on appelle aujourd’huila distance de Levenshtein [36] :
« We will say that a code K can correct s deletions, insertions and reversals if anybinary word can be obtained from no more than one word in K by s or fewer deletions,insertions, or reversals. It can be shown that the function r(x, y) defined on pairs ofbinary words as equal to the smallest number of deletions, insertions, and reversalsthat will transform x into y is a metric, and that a code K can correct s deletions,
6 1. Prélude
b) aaaaabb
a) aaaaabb aaaaabb ababab x 1
x x x 3 xx xx 4 x x x 3 aaababb
ababab bbaaa bbaaa x x 2
ababab
Figure 1.1 – Distance d’édition et code correcteur d’erreurs [36]. a) On considère un ensemblede mots qui sont suffisamment différents deux à deux, comme K = {aaaaabb, ababab, bbaaa}, avecr(aaaaabb, ababab) = 3, r(aaaaabb, bbaaa) = 4 et r(ababab, bbaaa) = 3. b) Étant donné un autre mot, onpeut alors déterminer le mot de l’ensemble le plus proche de ce mot : le mot aaababb est ainsi plus prochede aaaaabb que des autres mots de K.
insertions, and reversals if and only if r(x, y) > 2s for any two different words x and yin K. »
Cette distance de Levensthein est donc le nombre minimal d’opérations pour transformer unmot en un autre en utilisant les opérations d’édition que sont le remplacement, la suppression oul’insertion d’un caractère (Fig. 1.1). La distance de Levenshtein peut se calculer par programmationdynamique qui est un principe d’optimisation [33]. Plus généralement, on peut fixer des scores oudes poids qui favorisent ou pénalisent certaines opérations, et calculer des alignements globaux (uneséquence contre une autre) ou locaux (une partie d’une séquence contre une partie d’une autre) [37,47, 49].
Algorithmique du texte. Comparer, et plus généralement traiter, analyser ou indexer les sé-quences de caractères constitue le champ de recherches de l’algorithmique du texte. Les problèmesde recherche de motifs ont été abordés dès les années 1970 [40, 43] et ont par la suite suscitéde nombreux travaux [161]. En parallèle, des études ont exploré les propriétés combinatoires etstatistiques des mots [52].
Aujourd’hui l’algorithmique du texte est un domaine établi, avec une communauté se retrouvantlors d’événements tels que Combinatorial Pattern Matching (CPM, depuis 1992), String Proces-sing and Information Retrieval (SPIRE, auparvant South American Workshop on String Proces-sing, depuis 1993) et Prague Stringology Club (PSC, depuis 1996). Plusieurs ouvrages de référenceprésentent ce domaine [64, 65, 86], dont, en français, [71].
Les algorithmes traitant les séquences de caractères doivent être efficaces : si ce document d’unecentaine de pages contient environ 160 000 caractères formant 30 000 mots, des recherches sur desséquences d’ADN, sur des documents ou sur des chansons peuvent concerner des millions, desmilliards, voire des millions de millions de caractères et de mots, de nucléotides ou de notes. Dansles structures de données particulièrement efficaces, on peut mentionner les tables de hachage, lesarbres de suffixes, et, conçues à partir des années 1990, les tables de suffixes et la transformée deBurrows-Wheeler [109].
Donner du sens à la comparaison de séquences. Une comparaison lettre à lettre n’estpas toujours la plus pertinente, car les mots sont construits de syllabes et de racines (Fig. 1.2).Idéalement, la comparaison entre séquences doit leur donner du sens, révéler leur organisation :grâce aux travaux menés depuis plusieurs décennies sur le langage naturel, certains moteurs derecherche peuvent aujourd’hui saisir partiellement le sens de phrases. Y a-t-il aussi un sens àcomparer des séquences biologiques ou musicales ?
De génération en génération de cellules, les séquences d’ADN mutent, que ce soit des insertions,suppressions, et substitutions de nucléotides (dues à des « erreurs » de l’enzyme qui recopientl’ADN) ou, à plus grande échelle, des recombinaisons et réarrangements de gènes ou de portions dechromosomes. Ces transformations, bien qu’elles soient rares, sont moteur de l’évolution des cellules
1. Prélude 7
a) immunologie b) immun ologie c) [immuno][logie]
xxxxx|||||| 5 xx||xxx|||||| 5 x |
musicologie musicologie [musico][logie]
Figure 1.2 – Alignement de mots. Les alignements a) et b) sont les deux alignements optimaux suivantla distance d’édition, avec 5 opérations. Selon les poids donnés aux différentes opérations d’édition, onpourra considérer que l’alignement a) ou b) est le meilleur. L’alignement b) est celui qui propose le plus decorrespondances – 8 lettres identiques, dont une syllabe mu conservée. Cependant, ce mu n’a pas vraimentbeaucoup de sens ici. L’alignement c) fait lui correspondre des racines lexicales. S’appuyant sur l’étymologie,il éclaire un aspect de la signification des mots.
et des espèces car elles apportent parfois un avantage sélectif. « Rien n’a de sens en biologie, sice n’est à la lumière de l’évolution » était le titre d’un essai de 1973 du généticien TheodosiusDobjansky [38] : comparer des séquences d’ADN, c’est retracer certains mécanismes biologiques etdonc expliquer quelques aspects de l’évolution. Dans ce document, je parlerai de mécanismes derecombinaison et de mutation très particuliers, les recombinaisons immunologiques, qui assurent ladiversité de notre système immunitaire – système fonctionnant lui aussi grâce à une évolution etune pression de sélection.
Je parlerai aussi de musique... Un motif musical est « quelque chose qui se répète » pouvant êtrequelques notes, une phrase musicale, ou même un élément rythmique ou de texture. La musiqueest en effet organisée en répétitions et en contrastes. Là encore, ce n’est pas une comparaisonnote à note entre chansons qui donne du sens à la musique, mais une explication des fonctionsde différents éléments musicaux. Une partition regroupe souvent quelques milliers de notes, dansune organisation séquentielle qui n’est plus uniquement linéaire, mais à deux dimensions, avec deshauteurs et du rythme.
2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
Bioinformatique parallèle?
Structures secondaires des ARNs
Répertoire immunologique – Vijdil
Informatique musicale – Algomus
Tuan Tu Tran ?
Azadeh Saffarian ?
Tatiana Rocher
Nicolas Guiomard-Kagan
Figure 1.3 – Thèmes de recherche et doctorants encadrés.
Contenu de ce manuscrit. Les séquences de caractères ont rythmé mon parcours académique.En thèse, dans l’équipe Symbiose à Rennes, je travaillais avec Dominique Lavenier sur la compa-raison de séquences protéiques avec des processeurs particuliers, les « processeurs reconfigurablesFPGA ». En 2006, j’ai aussi commencé à étudier les structures secondaires d’ARN avec NadiaEl-Mabrouk, à Montréal. J’ai été recruté fin 2006 dans le laboratoire LIFL, maintenant CRIS-tAL (UMR 9189, Université de Lille). En arrivant à Lille, j’ai rejoint Hélène Touzet et l’équipede bioinformatique (alors Sequoia, et maintenant Bonsai), et mon projet était d’approfondir cesthématiques.
8 1. Prélude
Dans les années 2006 – 2012, j’ai ainsi mené des recherches sur le calcul parallèle pour labioinformatique tout en me rapprochant du logiciel, principalement autour du calcul sur cartesgraphiques (GPGPU), notamment avec Jean-Stéphane Varré, Stéphane Janot et Jean-FrédéricBerthelot ainsi que par la thèse de Tuan Tu Tran. Là encore, les algorithmes étudiés concernaientla comparaison de séquences d’ADN. J’ai aussi travaillé avec Hélène Touzet sur les algorithmessur les multi-structures d’ARN, autour de la thèse d’Azadeh Saffarian. Ces deux thématiques –bioinformatique parallèle et multi-structures d’ARN – ne seront pas mentionnées ici. J’ai préféréfocaliser ce manuscrit sur les deux projets que je porte depuis les cinq dernières années :
— un projet de bioinformatique appliqué à l’hématologie et l’immunologie sur l’analyse despopulations de lymphocytes par leurs recombinaisons V(D)J (« Compter les globules blancs »,chapitres 2 à 6). Ce projet a débuté dans l’équipe Bonsai fin 2010 (au début, dans le cadred’une soumission d’un projet avec du parallélisme GPGPU !), en constante collaboration avecnos collègues bioinformaticiens (plateforme de séquençage, Martin Figeac) et hématologues(laboratoire de Claude Preudhomme) de l’hôpital de Lille. Avec mon complice et collègueMikaël Salson, nous avons réfléchi sur des algorithmes pour analyser un mécanisme trèsparticulier – la recombinaison V(D)J.
Le projet s’est depuis étendu, avec un travail d’implémentation et une application clinique :le logiciel Vidjil que nous développons est désormais capable d’analyser plus de recombinai-sons immunologiques et s’est transformé en une plateforme contenant une application web,une base de données de patients et un serveur. Vidjil est utilisé régulièrement par plusieurslaboratoires en France et à l’étranger. Depuis janvier 2015, il est utilisé en routine à l’hôpitalde Lille.
— un projet plus prospectif d’informatique musicale (« Analyser les partitions », chapitres 7à 10). Un ordinateur est-il capable de comprendre la musique ? L’équipe émergente Algomus,que je dirige, est répartie entre les laboratoires MIS (Amiens, Univ. Picardie Jules Verne)et CRIStAL et développe des méthodes et des outils d’analyse musicale, c’est-à-dire d’anno-tation de partition musicale. Suite à des discussions informelles avec mes collègues RichardGroult et Florence Levé, du MIS, nous avons eu une première publication en 2011. Notrecollaboration s’est amplifiée à partir de 2012, début de notre travail sur les fugues.
Aujourd’hui, nous travaillons sur plusieurs problèmes de modélisation et de calcul sur parti-tions musicales – analyse de forme sonates, séparation de voix, analyse de textures, modéli-sation par grammaires – en lien avec des collègues musicologues. Le point commun de tousces travaux est qu’ils cherchent à expliquer le plus possible le fonctionnement interne despartitions. Nous travaillons enfin sur la visualisation de partitions annotées.
Ce manuscrit se termine par la description de quelques actions de médiation scientifique etartistique ainsi que des réflexions sur ces deux domaines d’étude (chapitres 11 et 12). Séquencesbioinformatiques, composées de A, C, G et T, séquences musicales composées de notes... Les deuxdomaines ont en commun des méthodes similaires en algorithmique du texte : représentation deséquences, techniques de comparaison, d’indexation, de filtrage.... Je ne ferai cependant pas de lienartificiel entre ces deux directions de recherches, les métiers et les finalités applicatives étant biendifférentes. Je discuterai en particulier de l’évaluation de telles études interdisciplinaires, que cesoit au niveau des méthodes mathématiques et informatiques, ou des applications en immunologieet en musique.
Première partie
Compter les globules blancs, Vidjil
Donne-moi ton sang, je te dirai quels sont tes lymphocytes...
Les recombinaisons V(D)J sont au cœur de la diversité immunologique qui permet à notrecorps de se défendre de manière adaptée à un grand nombre d’infections (chapitre 2). En colla-boration avec la plateforme de séquençage (Martin Figeac, Shéhérazade Sebda) et le laboratoired’hématologie du CHRU de Lille (Claude Preudhomme, Nathalie Grardel, Yann Ferret, AurélieCaillault, Nicolas Duployez), nous travaillons depuis fin 2011 sur des méthodes bioinformatiquespour l’hématologie, dans un projet mêlant aspects algorithmiques et cliniques.
Avec Mikaël Salson, j’ai proposé un nouvel algorithme rapide et sûr pour analyser les recom-binaisons V(D)J (chapitre 3). En particulier grâce à Marc Duez, ingénieur recruté dans l’équipeen 2013, nous avons développé Vidjil, une plateforme d’analyse des populations de lymphocytes(chapitre 4). Nous travaillons en collaboration avec des laboratoires d’hématologie en France et àl’étranger qui utilisent régulièrement notre logiciel à des buts cliniques – diagnostic des leucémiesaiguës – ou de recherche (chapitre 5).
Les perspectives de ce travail (chapitre 6) sont à la fois algorithmiques – avec Mikaël Salson etJean-Stéphane Varré, je co-encadre la thèse de Tatiana Rocher sur l’indexation des recombinaisonsV(D)J – et appliquées – Ryan Herbert, ingénieur recruté pour deux ans par une ADT Inria,développe de nouvelles fonctionnalités pour la plateforme, dans le but de mieux répondre aux défisbioinformatiques soulevés par nos utilisateurs ou collaborateurs hématologues.
Vidjil est fortement soutenu par la Région Nord-Pas-de-Calais, la plateforme de bioinformatiqueBilille, le SIRIC OncoLille et Inria, lors de projets que j’ai portés ou co-portés avec Mikaël Salson.
10
2
Immunologie et oncologie
Les lymphocytes, une partie des globules blancs, jouent un rôle clé dans l’immunité adapta-tive, en particulier grâce au mécanisme de recombinaison V(D)J (section 2.1). La recombinaisonV(D)J est un marqueur utile au diagnostic et au suivi des leucémies aiguës (section 2.2). Lespages suivantes n’ont pas la prétention d’être un exposé complet d’immunologie ou d’oncologie,mais présentent quelques éléments pour comprendre le but du séquençage de répertoire immuno-logique (Rep-Seq, section 2.3). Compter les globules blancs, les regrouper par familles, c’est ainsicomprendre l’état du système immunitaire d’une personne à un moment donné.
Figure 2.1 – Les lymphocytes T et B coopèrent pour réaliser l’immunité adaptative. Les lymphocytesT produisent des récepteurs d’antigène (TR) reconnaissant un fragment d’antigène présenté par d’autrescellules. Les lymphocytes B produisent eux des anticorps, ou immunoglobulines (Ig), membranaires ousecrétées, qui reconnaissent directement l’antigène.
Bien que ce chapitre s’adresse au lecteur non spécialiste, le choix a été fait ici de ne pas réexpli-quer des généralités sur les cellules et l’ADN, généralités qui peuvent se trouver dans de nombreuxouvrages. Une partie de ce chapitre, rédigée avec Mikaël Salson, sera utilisée pour un article àdestination du grand public.
12 2. Immunologie et oncologie
2.1 Hématopoïèse et recombinaison V(D)J
L’immunité adaptative. L’hématopoïèse est le processus de production des cellules du sang.La famille des lymphocytes contribue à lutter contre les antigènes (composants bactériens, viraux,parasitaires ou issus de tout autre pathogène). Les lymphocytes B effectuent leur maturation dansla moelle osseuse, et produisent des anticorps ou immunoglobulines (Ig). Les lymphocytes T sonteux produits dans le thymus, un organisme situé entre les poumons. À leur surface, ils présententdes récepteurs d’antigène (TR) activés par des épitopes, c’est-à-dire des fragments d’antigènes,présentés par des lymphocytes B ou par d’autres cellules (Fig. 2.1).
Les anticorps et les récepteurs d’antigène sont multiples : le répertoire total des Ig et des TR estestimé à environ 10
12 molécules [77]. Cette diversité permet une réponse immunitaire adaptative :lors d’une infection, certaines populations de lymphocytes B ou T vont reconnaître (imparfaite-ment) un certain nombre d’antigènes de l’agent pathogène. En 2 à 8 jours, ces populations semultiplient, en particulier celles qui sont les plus adaptées, menant à une spécialisation encore plusforte pour lutter contre ces antigènes. Elles sont ainsi sélectionnées pour la réponse immunitaire.Lorsque l’infection est résorbée, une partie de ces populations reste dans l’organisme. Ces lym-phocytes mémoire contribuent à une réponse immunitaire plus rapide et efficace lors d’infectionsultérieures par le même pathogène ou un agent très similaire, présentant des antigènes communs.
Les recombinaisons V(D)J. Le premier mécanisme expliquant la diversité des anticorps etdes récepteurs d’antigène est la recombinaison V(D)J qui crée la région CDR3 (complementarydetermining region 3 ) [53, 78]. La région CDR3 étant précisément celle en contact avec l’antigène,c’est cette variabilité qui explique la spécificité d’un Ig ou TR pour un fragment d’antigène donné(Fig. 2.2). Une recombinaison V(D)J met en œuvre des segments V, éventuellement D, et J pro-venant de gènes V, D, J qui peuvent avoir été tronqués ou mutés (Figs. 2.3 et 2.4). Entre cessegments, la région de N-diversité peut inclure des nucléotides aléatoires.
Figure 2.2 – Cet anticorps est composé de deux chaînes lourdes identiques (IgH) et de deux chaîneslégères identiques (Ig�). C’est précisément la zone au contact de l’antigène, le CDR3, qui est formée parles recombinaisons V(D)J. La chaîne lourde est ici recombinée à partir des gènes V3-48, D5-12 et J4 dulocus IgH, sur le chromosome 14 (Fig. 2.4), tandis que la chaîne légère est recombinée à partir des gènesV2-11 et J3 du locus Ig�, sur le chromosome 22.
V
N
D
N
J
Figure 2.3 – Recombinaison V(D)J. Les gènes V font typiquement entre 250 et 310 nucléotides (nt), lesgènes D entre 10 et 35 nt, et les gènes J entre 40 et 70 nt.
Les recombinaisons peuvent être soit VJ, soit VDJ. Ces recombinaisons peuvent se déroulerdans plusieurs locus, c’est-à-dire à plusieurs endroits du génome, simultanément ou successive-ment (Fig. 2.5). Au sein de chaque locus, les recombinaisons suivent un ordre bien déterminé.
2. Immunologie et oncologie 13
++ **IGHV3-48*01 ...TGTGTATTACTGTGCGAGAGArecomb ...TGTGTATTACTGTGCGAGAGAAAATAGTGGCTACGATTTGACTACTGGGGCCAGGG...IGHD5-12*01 gtggatATAGTGGCTACGATTac
123456 4321IGHJ4*02 actacTTTGACTACTGGGGCCAGGG...
1234567
Figure 2.4 – Exemple de recombinaison VDJ sur le locus IgH, provenant d’un patient suivi à Lille. Laséquence recomb peut se décrire par le code IGHV3-48 0/AA/6 IGHD5-12 3//6 IGHJ4, qui s’explique de lamanière suivante :Recombinaison V/D : 0/AA/6. Le gène V, IGHV3-48, a été pris entièrement. Notons que seule la finde ce gène (qui fait 296 nucléotides) est representée ici. Le gène D, IGHD5-12, a lui perdu ses 6 premiersnucléotides (gtggat). Deux nucléotides AA, marqués par ++, ont été rajoutés entre les gènes V et D.Recombinaison D/J : 2//7, 3//6 ou 4//5. Dans le locus IgH, la recombinaison D/J est en fait lapremière, se faisant avant la recombinaison V/D. Le gène D, IGHD5-12, a été recombiné avec le gène JIGHJ4 (seul le début du gène J, qui fait 48 nucléotides, est représenté ici). La simple vue de la séquence nepermet pas ici de déterminer quelle a été exactement la recombinaison : les nucléotides TT, marqués par **,sont alignés aussi bien avec la fin du gène D qu’avec le début du gène J. Il y a donc plusieurs interprétationspossibles sur le nombre de délétions à la fin du gène D et au début du gène J : la recombinaison D/J peut-êtrevue comme 2//7, 3//6, ou 4//5. Il n’y a probablement pas eu ici de nucléotides insérés.
Par exemple, pour le locus IgH, la recombinaison D/J a lieu avant la recombinaison V/(D/J). Unprécurseur de lymphocyte resté à un certain stade de développement possédera ainsi une recombi-naison incomplète.
Diversité du répertoire immunologique Un lymphocyte B ou T a normalement besoin dedeux (et uniquement deux) locus recombinés, suivant le type d’Ig ou de TR exprimé :
Lymphocytes B Chaîne lourde IgH (VDJ) + chaîne légère Ig ou Ig� (VD)Lymphocytes T Chaîne TR↵ (VD) + TR� (VDJ)
ou chaîne TR� (VD) + TR� (VDJ)
Le fait que les recombinaisons V(D)J aient lieu sur les deux chaînes utilisées par un lympho-cyte augmente considérablement la diversité des anticorps (Tab. 2.6). Au cours de sa maturation,plusieurs choix aléatoires sont effectués pour assurer cette diversité. La recombinaison de certainslocus bloque ainsi d’autres recombinaisons, que ce soit sur l’autre allèle (un gène similaire pré-sent sur l’autre chromosome de même numéro) ou même sur d’autres locus. Par exemple, le locusTR� est tout simplement éliminé lors d’une recombinaison TR↵. Cependant, on peut trouver desrecombinaisons non fonctionnelles ou multiples [155]. Une majorité des lymphocytes B dans lesleucémies aiguës lymphoblastiques présentent ainsi des recombinaisons dans le locus TR� [55].Ces lymphocytes B ne produiront pas pour autant de récepteurs �. Un même lymphocyte ou unprécurseur de lymphocyte pourra ainsi avoir de zéro à près d’une dizaine de recombinaisons V(D)Jdifférentes.
2.2 Diagnostic et suivi des leucémies aiguës lymphoblastiques
Leucémie aigüe lymphoblastique (LAL). Les cancers du sang regroupent les leucémies,aiguës ou chroniques, les lymphomes et les myélomes multiples. La leucémie aiguë lymphoblastique(LAL) est un cancer touchant principalement les enfants. Une population de cellules, appeléelymphoblaste, prolifère anormalement (Fig. 2.7). Ces cellules sont plus ou moins immatures – et
14 2. Immunologie et oncologie
selective amplification of low amount of template (Table 1).When there is a broad and diverse repertoire, which in factreflects many different lymphocytes (clones), the term poly-clonality is used. Evaluation of two different Ig or TCR targets(IGH plus IGK or TCRG plus TCRB) might sometimes shedlight on interpretation of the number of clones present in thelesion. It should be noted, however, that the IGK and TCRBloci are a bit exceptional. Due to their specific configuration,>1 rearrangement can be present on the same chromosome/allele, and hence, three or even four PCR products can easily
be compatible with one clone (Table 1). The complexityof the IGK and TCRB loci and the expected type andnumber of PCR products will be addressed in the nextsections in more detail.
Multiple rearrangements in the IGK locus
When during its differentiation a precursor B cell is notsuccessful in creating a productive IGK rearrangement,
IGHrearrangements
IGKrearrangementsIGLrearrangements
pre-B-IIsmall
immatureB
pre-B-IIlarge
pre-B-Ipro-BHSC
HSC
intron/Vκ-KdeVκ-Jκ
VH-D-JHDH-JH
Vλ-Jλ
A
TCRD/Arearrangements
TCRGrearrangements
TCRBrearrangements
DN1 DN3/4 ISP DP3- DP3+
Vα-Jα
Dδ-Dδ Dδ-Jδ Vδ-D-Jδ
Dβ-Jβ Vβ-D-Jβ
Vγ-Jγ
δRec-ψJα
DN2
γδ
SP CD4
SP CD8
thymus
bone marrow
B
Fig. 1 Gene rearrangements during human lymphoid differentiation. aHierarchy of Ig gene rearrangements during human precursor B celldifferentiation in the bone marrow. b Hierarchy of TCR gene rearrange-ments during human precursor T cell differentiation in the thymus. HSC
hematopoietic stem cell, DN double negative thymocyte, DP doublepositive thymocyte, ISP immature single positive thymocyte, SP singlepositive thymocyte. a was adapted from Van Zelm et al. [13]. b wasadapted from Dik et al. [2]
J Hematopathol
Figure 2.5 – Développement lymphoïde et recombinaison des locus pour les lympohcytes B (haut) et T(bas). Figure extraite de [155]. Les recombinaisons se font au cours de la maturation de la cellule. Parexemple, le lymphocyte « pro-B » n’a intialement effectué que la recombinaison D-J sur le locus IgH, etaucune recombinaison sur les locus Ig� et Ig.
2. Immunologie et oncologie 15
Chaîne lourde Chaîne légère ou �locus IgH (14q32.33) Ig (2p11.2) Ig� (22q11.2)répertoire ⇠ 40 V⇥ 23 D⇥ 6 J ⇠ 30 V⇥ 5 J ⇠ 30 V⇥ 5 Jrecombinaisons V(D)J ⇠ 6300 ⇠ 150 ⇠ 150
N-diversité, mutations somatiques ⇠ 6 · 10
6 ⇠ 3 · 10
5 ⇠ 3 · 10
5
2 · 10
12 anticorps différents
Table 2.6 – Diversité du répertoire immunologique des lymphocytes B [77]. Les chaînes proviennent detrois locus situés sur des chromosomes différents (14, 2 et 22). En plus de la recombinaison V(D)J avecla N-diversité, les séquences des lymphocytes B peuvent avoir des mutations somatiques qui améliorentencore la spécificité de l’anticorps pour un certain antigène.
Figure 2.7 – Leucémie aiguë lymphoblastique (LAL). Les lymphoblastes sont ici des précurseurs de lym-phocyte B. (CC BY SA VashiDonsk, Wikipedia)
certaines n’ont pas terminé leurs recombinaisons V(D)J, ayant par exemple réalisé uniquement larecombinaison D/J sur le locus IgH.
Les symptômes d’une leucémie aiguë sont un affaiblissement généralisé, provenant en particu-lier d’une anémie (diminution du taux d’hémoglobine dans le sang liée ici à une diminution desglobules rouges). L’hématopoïèse défaillante provoque aussi une très grande vulnérabilité aux in-fections extérieures. En effet, lorsqu’un patient est diagnostiqué d’une LAL, la quasi totalité de sesglobules blancs sont les lymphoblastes, et il n’y a quasiment plus de lymphocytes matures, ni depolynucléaires et monocytes (leucopénie). Enfin, des troubles de la coagulation sanguine peuventapparaître en raison de la diminution de la production de plaquettes.
Prise en charge, diagnostic et suivi des LAL. Le pronostic des patients atteints de LAL s’estconsidérablement amélioré lors des dernières décades (survie à 5 ans de 41% en 1975, 70% en 2010).Les dernières années, peu de nouvelles molécules ont été découvertes. C’est surtout la meilleureutilisation de l’arsenal thérapeutique existant qui perfectionne les traitements en s’appuyant surun diagnostic et un suivi plus précis.
Le suivi hématologique se fait par l’évaluation de la maladie résiduelle (minimal residual disease,MRD), en quantifiant pour chaque échantillon de suivi la proportion du clone détecté au diagnostic.Cette évaluation se fait par une PCR quantitative (qPCR, estimation de la quantité de cellulesayant une certaine séquence d’ADN par amplification de cette séquence) [77] ou par cytométrie enflux (tri des cellules selon la présence de certains marqueurs) [154]. Dans plus de 90% des cas deLAL, on arrive à identifier une recombinaison V(D)J sur un des locus Ig ou TR des lymphoblastes :cette recombinaison est le marqueur suivi par qPCR. Ce suivi est standardisé par le consortiumeuropéen EuroMRD.
16 2. Immunologie et oncologie
>00142:00601AGCAGTGGGTAAGACAAGACAACA
>00313:01781AGCAGTGGGTAAGACAAGACAACAAAGTGGTAGGCAAGAAAGAATTTCTTCAAACTCTCATCTTCAATCCCATTTACCATCAAGCTCC
>00193:00174GTGTTGTTCCACTGCCAAAGAGAGTCGCAAAACGGTTGAAAAGGACACTGACTGGGAATTGAGAGCCCTGGGTTCATCATGCTAGCCCTGACAATAATTTGTCATGTAATCTTGAACAAGCCCAGGTACTCTGGCTTTAATTGCCTTGTGAGTAAAATAGACGATGGTACTAAGTGATTATTTAAAATCCTTTCCAATTGTAGAAGTCCAAGGTTGTGTGAAATTTGGATATGTAGGTGAAAGACGCTGTGGGGCCTTCC
>00153:01261GTGTTGTTCCACTGCCAAAGAGAGTCGCAAAACGGTTGAAAAGGACACTGACTGGGAATTGAGAGCCCTGGGTTCATCATGCTAGCCCTGACAATAATTTGTCATGTAATCTTGAACAAGCCCAGGTACTCTGGCTTTAATTGCCTTGTGAGTAAAATAGACGATGGTACTAAGTGATTATTTAAAATCCTTTCCAATTGTAGAAGTCCAAGGTTGTGTGAAATTTGGATATGTAGGTGAAAGACGCTGTGGGGCCTTCC
>00670:02597GGAAGGCCCCACAGCGTCTTTCACCTACATATCCAAATTTCACACAACCTTGGACTTCTACAATTGGAAAGGATTTTAAATAATCACTTAGTACCATCGTCTATTTTACTCACAAGGCAATTAAAGCCAGAGCACCTGGGCTTGTTCAAGATTACATGACAAATTATTGTCAGGGCTAGCATGATGAACCCAGGGCTCTCAATTCCCAGTCAGTGTCCTTTTCAACCGTTTTGCGACTCTCTTTGGCAGTGGAACAACAC
>00320:01219GACGGCCCACAGCGTCTTTCACCTACATATCCAAATTTCACAGCAACCTTGGACTTCCTACAAGTTTGGAAAGGATTTTAAATATCACTTAGGTACCATCGTCTATTTTACTCACCAAGGCAATTAAA
>00254:00018GTCGGTTGTTCCGACTGCCCAAAGGAAGTTTTCGTTATATTCGAATCCCCAGGTGGCTACAGTAAGTAGACGTTCCAGAGTCATTTTCAATAAGATTTCCGCAGTTACA
Figure 2.8 – Exemples de reads en sortie d’un séquenceur haut-débit lors d’une étude de Rep-Seq. Lesséquenceurs haut-débit produisent aujourd’hui des milliers ou des millions de telles séquences, qui peuventcontenir jusqu’à plusieurs milliards de nucléotides au total. Le défi bioinformatique est d’analyser cet en-semble de séquences, en identifiant les recombinaisons V(D)J et les regroupant en clones (voir chapitre 3).
La stratification des patients consiste à identifier le plus tôt possible le pronostic de chaque pa-tient pour adapter au mieux son traitement. Par exemple, dans le protocole européen actuellementsuivi (2010 EORTC 58081), les LAL de l’enfant sont réparties dans les groupes VHR (très hautrisque), AR1 et AR2 (risque moyen) et SR (faible risque). Cette répartition dépend notamment del’évaluation de la MRD au jour 35 après le diagnostic [73]. D’autres évaluations sont faites au jour70, puis régulièrement, en fonction de l’état du patient. La MRD est aujourd’hui l’un des meilleurscritères de stratification [152] et permet, dans certains cas, de détecter précocement les rechutes.
2.3 Séquençage à haut-débit de répertoire immunologique(Rep-Seq)
Rep-Seq. La principale limite des techniques habituelles de MRD est qu’elles ne peuvent passuivre des populations de plusieurs clones [93]. Les techniques ne sont pas capables d’identifierune rechute provenant d’un clone non identifié au diagnostic – soit parce qu’il était absent, soit enquantité trop faible.
De plus, on considère aujourd’hui que la leucémie est une maladie hétérogène. Ce n’est pas unclone mais une famille de clones, voire une population de clones qui est responsable de la maladie.Comprendre la leucémie (et, plus généralement, comprendre la réponse immunitaire) nécessite doncd’étudier, autant que possible, l’ensemble de la population de lymphocytes et donc l’ensemble deses recombinaisons V(D)J.
Depuis une dizaine d’années, on dispose de séquenceurs à haut-débit (HTS ou NGS) qui ontrévolutionné de nombreux champs de la biologie moléculaire. Un séquenceur permet d’obtenirla composition d’un très grand nombre de séquences d’ADN sous la forme de reads (ou traces
2. Immunologie et oncologie 17
de lectures) 1 (Fig. 2.8). Dans notre cas, le principe du séquençage de répertoire immunologique(Repertoire Sequencing, Rep-Seq) est d’analyser tout un ensemble de lymphocytes, en séquençantdes milliers voire des millions de recombinaisons immunologiques [149]. Les premières études sur cesujet datent de 2009, que ce soit pour étudier le répertoire d’animaux [129] ou bien d’humains [124],en particulier sur des patients atteints de leucémie [120]. Depuis, de nombreuses études biologiquesont été publiées (revue dans [181], voir aussi à la section 3.1).
Stratégies pour le Rep-Seq. Séquencer un répertoire demande d’extraire les recombinaisonsV(D)J de l’ADN des lymphocytes (Fig. 2.9). Pour cela, la plupart des études utilisent une ouplusieurs réactions de PCR (amplification sélective de l’ADN) avec des amorces consensus, c’est-à-dire capable de se fixer sur un ensemble de gènes V et J, comme les amorces développées au débutdes années 2000 par l’action BIOMED-2 [77]. On doit cependant utiliser au total 122 amorcesréparties en 14 réactions de PCR (des « tubes », ou PCR multiplex) pour couvrir la majorité deslocus. De nouvelles amorces, plus adaptées au NGS, sont en cours d’évaluation dans le groupe detravail EuroClonality-NGS (voir section 6.2).
Le principal défaut des stratégies de PCR est qu’elles consistent en une amplification du matérielgénétique. Cette amplification peut induire un biais, rendant plus difficile la quantification précise(voir section 5.2), en particulier dès que plusieurs amorces sont mélangées. D’autres stratégies deséquençage sans amplification commencent à être développées, comme la capture, qui consiste àséquencer des fragments autour de séquences connues. Là encore, le choix des sondes de capturea une grande influence sur le résultat final. Enfin, il est possible de simplement rechercher lesrecombinaisons V(D)J au milieu d’autres données. On peut ainsi trouver des recombinaisons V(D)Jdans des données de transcriptomique (séquençage des ARNs présents dans une cellule, RNA-Seq),même si ces recombinaisons seront peu nombreuses comparées à l’ensemble des ARNs produits parla cellule. Par contre, on ne trouvera pas dans les ARNs les recombinaisons non exprimées.
1. voir notre présentation grand public des séquenceurs à haut-débit [1].
18 2. Immunologie et oncologie
Figure 2.9 – Stratégies pour le Rep-Seq (b, c et d). Aujourd’hui, l’approche principale pour étudier lerépertoire immunologique est d’utiliser des amorces de PCR.
a) La quantification traditionnelle en qPCR utilise des amorces spécifiques à un CDR3.
b) L’approche Rep-Seq utilise elle des amorces consensus entre plusieurs V ou plusieurs J, telles que lesamorces BIOMED-2 [77]. Selon les amorces utilisées, la quasi-totalité des séquences récupérées sont desrecombinaisons V(D)J pouvant être analysées par un outil bioinformatique de Rep-Seq.
c) La capture cible des régions d’intérêt (y compris des gènes V, D ou J), ce qui permet d’être plus flexiblesur les séquences récupérées. Cependant, cette méthode récupère aussi les gènes non recombinés, ce qui nefournit qu’une faible proportion de séquences recombinées.
d) Le RNA-Seq consiste à récupérer les ARN d’une population de cellules sans a priori. Là encore, unefaible proportion de l’ARN total consiste en des séquences recombinées.
Avec de la PCR ou de la capture, on peut aussi se focaliser sur de l’ARN présentant certaines régions d’in-térêt. En capture comme en RNA-seq, un seul séquençage permet d’analyser différents types d’événementspertinents (comme, pour l’oncologie, d’autres recombinaisons comme BCR-ABL, de l’épissage alternatifou des mutations de la tumeur). Le but des outils bioinformatiques de Rep-Seq est alors de se focalisersur la proportion (faible) des séquences recombinées. Comme ces approches peuvent être conduites sansamplification, elles ont, à terme, un potentiel de quantification avec moins de biais, mais elles demandentencore beaucoup de calibration.
3
Algorithmes pour l’analyse
des recombinaisons V(D)J
Pouvons-nous compter les globules blancs qui luttent contre le virus de la grippe ? Un des défisde l’immunoinformatique est de pouvoir, à partir des séquences d’ADN, décrire la fonction d’unlymphocyte. La spécificité d’un lymphocyte reposant principalement sur son CDR3, l’analyse desrecombinaisons V(D)J devrait, idéalement, prédire avec quel antigène le lymphocyte est capabled’interagir. Ainsi, une identification et un décompte d’un échantillon de lymphocytes donnerait unbilan complet des infections en cours et des immunisations existantes grâce aux infections passéesou aux vaccinations.
Figure 3.1 – Avec les séquenceurs de troisième génération portables et bon marché, il sera peut-être possiblede faire un diagnostic immédiat de son système immunitaire.
Aujourd’hui, les programmes traitant des CDR3 ont un but bien plus modeste : ils cherchent àanalyser les recombinaisons V(D)J (section 3.1). Les méthodes existantes d’analyse de séquencesrecombinées, classiques ou haut-débit, se basent sur cette analyse pour regrouper les reads en clones(section 3.2). Avec Mikaël Salson, j’ai proposé une vue radicalement nouvelle sur ce problème,menant à un algorithme rapide et fiable pour regrouper et analyser des populations de séquencesrecombinées (section 3.3). Notre méthode fonctionne également sur des recombinaisons incomplètesou irrégulières (section 3.4).
Cet algorithme a été décrit dans notre publication de 2014 dans BMC Genomics [12]. Nouspréparons une soumission d’un autre article algorithmique avec nos derniers résultats.
20 3. Algorithmes pour l’analyse des recombinaisons V(D)J
3.1 Défis de l’immunoinformatique et des études Rep-Seq
Que faire avec des séquences recombinées ? Modéliser directement le lien entre recombinai-sons V(D)J et antigène est difficile : l’interaction 3D entre immunoglobuline et antigène demandedes modèles chimiques précis et de grandes ressources de calcul. Il existe pour cela des logiciels dedocking et des bases de données spécialisées (revues dans [165, 168, 172]).
Aujourd’hui, les approches Rep-Seq ne vont pas encore jusqu’à ce lien avec l’antigène, bienque certaines études utilisent des résultats de techniques de détection d’affinités entre anticorps etépitopes [177]. De plus, pour modéliser complètement l’immunoglobuline, on doit avoir les deuxchaînes qui la constituent, avec une recombinaison V(D)J pour la chaîne lourde et une recombi-naison VJ pour la chaîne légère. Lier chaînes lourdes et légères peut se faire par une techniquenommée bridge PCR [159] ou bien par séquençage indépendant et lien statistique [176].
Sans aller jusqu’à ces modélisations complètes, de nombreuses études à haut-débit sur le ré-pertoire sont dès à présent possibles. Étant donné une séquence recombinée, on peut tout d’abordsouhaiter expliquer cette recombinaison et pour cela identifier les régions V, D et J, avec les gènesde référence, et extraire le CDR3. Étant donné les séquences d’un ensemble de lymphocytes, oncherchera alors à regrouper les séquences en « clones » pour décrire qualitativement et, si possible,quantitativement, la population globale (Fig. 3.2, haut). Comme un même lymphocyte ou lympho-blaste contient généralement plusieurs recombinaisons V(D)J (voir section 2.1), ne serait-ce que surdes locus différents, un « clone » d’un « même » lymphocyte ou lymphoblaste pourra correspondreà plusieurs « clones » de recombinaisons V(D)J.
Même si ce n’est qu’une étape dans la compréhension de la population des lymphocytes, cettedétermination du répertoire V(D)J est au cœur des analyses bioinformatiques de données Rep-Seq.La connaissance de ce répertoire, l’estimation de sa diversité et la comparaison avec d’autres ré-pertoires permettent déjà de révolutionner le diagnostic et le suivi des leucémies (voir section 2.2).De manière plus générale, en immunologie, les études Rep-Seq comparent des populations lym-phocytaires correspondant à différentes situations biologiques : ces populations peuvent provenirde patients sains ou malades, de plusieurs prélèvements au cours du temps d’un même patient ouencore, à un instant donné, de prélèvements dans divers tissus [182, 167, 173]. Enfin, l’interactionimmunoglobuline-antigène pourrait aussi être obtenue statistiquement : le séquençage de répertoireimmunologique de plusieurs patients atteints de la même souche de grippe permettra probablementd’identifier des séquences communes de CDR3, que ce soit sur un ou plusieurs locus.
Spécificité bioinformatique de l’analyse des recombinaisons V(D)J. Les méthodes ana-lysant des recombinaisons V(D)J doivent être spécifiques : en effet, la plupart des outils bioin-formatiques habituels sont difficiles à utiliser sur des données de Rep-Seq. Les outils habituelsd’alignement, de read mapping ou de correction d’erreurs n’ont pas été conçus pour analyser desséquences avec des recombinaisons. De plus, les variabilités technologiques (erreurs du séquençageou de la PCR, séquences décalées) ou biologiques (zone de N-diversité, hypermutations) rendentdifficile l’utilisation de ces algorithmes standards. Lorsqu’on étudie des séquences recombinées, c’estprécisément le détail de ce qui se passe dans le CDR3 qui est intéressant.
3.2 Méthodes classiques et haut-débit
Méthodes classiques. Les premiers algorithmes spécifiques aux recombinaisons immunologiquessont apparus dans les années 1990. À Montpellier, le international ImMunoGeneTics informationsystem (IMGT R�), fondé par Marie-Paule Lefranc, a proposé de nombreux outils pour l’analyseapprofondie de séquences avec des recombinaisons V(D)J [88, 110, 144, 148] 1. Ce travail s’est ac-compagné d’un effort de standardisation, en particulier au sujet de la nomenclature des gènes, le
1. http://imgt.org/
3. Algorithmes pour l’analyse des recombinaisons V(D)J 21
reads clones
V4-J2V4-J2V4-J2
V9-J1
V9-J1
V4-J1V3-J1
V4-J2 (43%) V9-J1 (29%)
V4-J1V3-J1
Figure 3.2 – Actuellement, la plupart des méthodes bioinformatiques Rep-Seq ont pour but d’identifier etde quantifier le répertoire V(D)J en regroupant les reads en clones. (Haut.) Dans les méthodes classiques,chaque read est analysée pour trouver sa désignation V/D/J et/ou son CDR3, ce qui permet de regrouperles reads. (Bas, flèches pointillées.) L’algorithme que nous avons proposé regroupe les reads sans en faireune analyse détaillée. L’analyse détaillée est faite uniquement sur les clones.
HUGO Gene Nomenclature Committee indiquant que les désignations des gènes Ig et TR suiventcelles de la base de données IMGT/LIGM [144].
La plupart des logiciels d’analyse de séquences recombinées se concentrent sur la désignationV(D)J, identifiant les segments V, D et J recombinés les plus probables. Généralement, les logicielscalculent des alignements entre la séquence requête et les bases de données de gènes V(D)J (Join-Solver [87], IMGT/V-QUEST [110], IMGT/HighV-QUEST [148]), éventuellement avec certainesheuristiques ([141], IgBlast [163]), des modèles de Markov cachés (HMMs) (iHMMune-align [102],SoDA2 [140]), ou des techniques basées sur la maximisation de la probabilité (VDJSolver [100]).Une comparaison de certains de ces outils a été effectuée dans [137], mais une perspective seraitde réaliser d’autres évaluations indépendantes et plus complètes.
Méthodes haut-débit : analyser, puis regrouper et compter. Le développement des mé-thodes Rep-Seq nécessite le développement d’algorithmes et de logiciels capables de traiter desmillions de reads [149]. IMGT/HighV-QUEST [148] est une extension de IMGT/V-QUEST. Il per-met d’avoir toute la puissance des outils IMGT, mais demande des calculs lourds sur chaque read.La version 1.4.1 du serveur IMGT est ainsi limitée à 500 000 reads, et analyser ces reads demandeplusieurs heures de calcul sur des machines puissantes.
Dans les cinq dernières années, plusieurs logiciels ont été conçus spécifiquement pour le séquen-çage haut-débit, analysant beaucoup plus rapidement chaque read pour identifier le gène V, legène J, extraire le CDR3, puis regrouper les reads en clones. Plusieurs de ces logiciels utilisent descalculs de similarité à base de k-mots (mots de longueur k), ce qui permet d’éviter ou d’accélérerle calcul des alignements complets entre les reads et les gènes de référence :
— Decombinator [162]. L’ensemble des gènes de référence sont analysés, pour identifier, pourchaque gène V et J, un « tag » de 20 nucléotides (nt) unique.L’identification du gène V et du gène J dans la read se fait lorsque ce tag est exactementretrouvé, ou bien lorsqu’un demi-tag (k = 10 nt) est exactement retrouvé et que le tag corres-pondant s’aligne avec la read avec au plus une mutation. Tags et demi-tags sont recherchésen temps linéaire grâce à un automate d’Aho-Corasick [40].Le CDR3 est ensuite localisé en cherchant une correspondance exacte de 3 nucléotides à lafin du V et au début du J. Cette localisation s’appuie sur la position du (demi-)tag identifiédans les segments V et J.
22 3. Algorithmes pour l’analyse des recombinaisons V(D)J
— MiTCR [157] et MiXCR [174]. L’identification des gènes V et J se fait en retrouvantdes k-mots positionnés aléatoirement (avec généralement k = 5). L’alignement complet, parprogrammation dynamique avec k-band, ne se fait que lorsqu’il y a un chaînage de k-motssuffisant.Les clones ne sont créés qu’à partir des reads de haute qualité, et, dans une deuxième passe,les reads de basse qualité peuvent venir s’ajouter à un clone existant.
— TCRklass [170]. L’identification du V et du J se fait sur le nombre de 6-mers communsentre la read et les gènes de référence. Le V et le J identifiés sont ceux qui maximisent ces6-mers communs (au moins 3) avec la read.La localisation du CDR3 se fait elle en reconnaissant des 3-mers en acides aminés (donccouvrant 9 nt). Le regroupement se fait ensuite sur les CDR3 ainsi que les gènes V et Jutilisés, en deux passes selon la qualité des reads, comme dans MiTCR/MiXCR. TCRklassinclut aussi, en amont, un contrôle de qualité et un assemblage des reads paired-end, et, enaval, un traitement de certaines erreurs.
— IMSEQ [178]. Des k-mers sont extraits des répertoires V et J, avec leur position vis-à-visdu CDR3. L’identification du V et du J se fait par alignement complet (programmationdynamique, avec un algorithme à la k-band), mais cet alignement n’est calculé que lorsqu’ily a déjà un pré-alignement satisfaisant sur ces k-mots. Le regroupement des séquences se faitlà aussi sur le CDR3. En aval, IMSEQ identifie si certains clones ne dérivent pas d’autres.
Toutes ces techniques débutent donc par l’identification d’un ou de plusieurs k-mots communsentre la read et les répertoires des gènes V et J. Plus la valeur de k est petite, meilleures sont leschances de détecter une similarité, mais plus grandes sont aussi les chances de détecter des fauxpositifs (comme des k-mots qui sont à la fois dans un gène V et un gène J) et de ralentir ainsi lesétapes suivantes.
Decombinator et TCRklass ont une stratégie globalement linéaire – en tout cas, ces programmesne font pas d’alignement du read avec l’ensemble des gènes V et J. Le fait qu’ils utilisent des k-motspermet de détecter des similarités approchées. Notons toutefois que Decombinator impose d’avoirau moins un demi-tag de 10 nt conservé (qui est à une position fixe sur le V) : un read avec deuxmutations ou erreurs à la position des deux demi-tags ne sera donc pas analysé. Les reconnaissancesde TCRklass, de MiTCR/MiXCR et d’IMSEQ sont elles plus flexibles.
3.3 Regrouper, puis compter et analyser : une nouvelle ap-proche pour l’analyse haut-débit
Les méthodes exposées au précédent paragraphe, publiées entre 2013 et 2015, traitent les readsune par une pour obtenir les segments V et J, extraire le CDR3, puis regrouper les reads enclones (Fig. 3.2, haut). Bien que ce traitement soit optimisé, est-il vraiment indispensable d’analyseren détail chaque read ?
Avec Mikaël Salson, dès 2012, j’ai proposé d’aborder ce problème en changeant complètementde point de vue. Lorsqu’on a un grand nombre de reads (plusieurs milliers à plusieurs dizaines demillions), le but n’est pas de se focaliser sur chaque read, mais de fournir des informations perti-nentes sur la population de lymphocytes et ses clones. Le problème principal devient : Commentregrouper, le plus rapidement possible, les reads provenant d’un même clone, sans avoir identifiéprécisément les segments V et J ni le CDR3 ? (Fig. 3.2, bas). Des outils génériques de regroupe-ment de reads ne peuvent pas être employés, car de toutes petites différences peuvent conduire àdes clones différents, en particulier lorsque ces différences sont dans la zone de N-diversité.
Nous avons proposé de localiser pour chaque read la zone de la jonction V(D)J, très rapidementmais de manière approchée, sans aucun alignement avec les répertoires V et J. Nous regroupons
3. Algorithmes pour l’analyse des recombinaisons V(D)J 23
les reads partageant une même fenêtre autour de cette jonction. L’analyse détaillée sur les clones,avec des alignements de séquence, se fait dans une seconde phase [12].
Phase 1 : Regroupement des reads suivant leur jonction V(D)J. La localisation appro-chée du CDR3 utilise une heuristique à base de k-mots (mots de longueur k, avec k dépendant dulocus et valant généralement de 9 à 13). Tous les k-mots des gènes V et J connus sont indexés.Pour chaque read, on cherche ainsi une zone ayant à sa gauche une forte ressemblance avec des Vet à sa droite une forte ressemblance avec des J.
1a. Découpe de la chaîne d’affectation en trois zones. On récupère l’ensemble des k-mots de chaqueread, chacun ayant une « affectation » égale à V, J, ? (k-mer ambigu, présent à la fois dans lesrépertoires V et J) ou � (k-mer inconnu dans l’index). Une read de taille n donnera ainsi les` = n � k + 1 affectations a = a
1
a2
...a`, comme par exemple a = VVV–-VV––JJJ-. On considèrel’ensemble des positions 0, 1, ..., `, et on note a[i, j] = ai+1
ai+2
...aj�1
aj la zone entre les positionsi et j.
La première heuristique, présentée à JOBIM 2013 [7] puis publiée dans [12], trouve dans la readdeux positions i j telles que :
— la zone a[0, i] contienne uniquement des k-mots V (ou ?, ou �),
— la zone a[i, j] ne contienne ni V, ni J, et est la plus grande possible,
— la zone a[j, `] contienne uniquement des k-mots J (ou ?, ou �).
Cette heuristique découpe ainsi la chaîne d’affectations a = VVV–-VV––JJJ- en trois zones VVV–-VV,–– et JJJ- (i = 7 et j = 9).
En 2014, nous avons amélioré cette heuristique pour tolérer un faible nombre de k-mots Vau milieu du segment J, et réciproquement, comme dans une read avec une chaîne d’affectationsVVVJ–VV––JJJ-. En notant |s|V le nombre de caractères V dans une chaîne d’affectations s, oncherche les positions t telles que �(t) = |a[0, t]|V� |a[0, t]|J soit maximum (beaucoup de V et peu deJ à gauche). Cette condition est équivalente à maximiser �0(t) = |a[t, `]|J � |a[t, `]|V (beaucoup deJ et peu de V à droite), car, pour tout t, �(t)� �0(t) = |a|V � |a|J est une constante. L’algorithmeprésenté à la figure 3.3 calcule, en temps linéaire, les deux positions i j qui sont la première et ladernière à maximiser �. La chaîne d’affectation VVVJ–VV––JJJ- est par exemple découpée en troiszones VVVJ–VV, –– et JJJ-, avec �(7) = �(9) = 4.
Comme avec tout traitement à base de k-mots, le choix de k est crucial : comment avoir un kaussi petit que possible (pour détecter des similarités approchées) tout en différenciant les zonesV et J ? Avec la seconde heuristique, notre algorithme permet d’avoir des k plus petits et de toutde même détecter les zones V et J.
1b. Filtre et test statistique. Pour évaluer la pertinence de la découpe de la chaîne d’affectations,on vérifie tout d’abord que la zone V possède significativement plus de V que la zone J, c’est-à-dire|a[0, i]|V � ⌧ · |a[j, `]|V avec ⌧ = 2, ainsi que la condition symétrique pour les J. Ce test permetd’exclure les chaînes telles que VVVV–-JJJ–-VVV–JJ qui sont probablement chimériques et difficilesà interpréter.
On réalise enfin un simple test statistique pour savoir si la découpe est significative. La p-valeurde la zone V , c’est-à-dire la probabilité d’obtenir, par hasard, un nombre de V dans les affectationsa[0, i] égal à |a[0, i]|V est estimée par B(p, |a[0, i]|V, i), où B(p, k, `) =
Pkt`
�`t
�pt(1 � p)
(`�t)
est la probabilité cumulée d’obtenir au moins k fois parmi ` un événement de probabilité p dansun schéma de Bernoulli – ce qui est très approximatif, les occurrences des k-mers n’étant pasindépendantes. La probabilité p d’obtenir, sur un k-mot, une affectation particulière V est définieen fonction du nombre de k-mots stockés dans l’index. La p-valeur de la recombinaison V-J est lasomme des p-valeurs des deux zones V et J. Enfin, cette p-valeur est multipliée par le nombre dereads traités pour donner une e-valeur qui peut servir à un seuillage.
24 3. Algorithmes pour l’analyse des recombinaisons V(D)J
Entrée : une chaîne d’affectation a = a1
a2
. . . a`
� 0
�max
i 0
j 0
Pour chaque t de 1 à `
Invariant : � = |a[0, t� 1]|V � |a[0, t� 1]|Jsi at = V, alors � � + 1
si at = J, alors � � � 1
si � > �max
, alors �max
� et i t
si � = �max
, alors j tFin Pour
Sortie : renvoyer i et j
�
i j
V V V J - - V V - - - - J J J -
Figure 3.3 – Recherche en temps O(`) du meilleur palier (i, j) dans lequel se trouve la jonction V-J. L’algorithme effectivement implémenté dans Vidjil (affectanalyser.cpp) calcule aussi, au sein dumême parcours linéaire, les valeurs |a[0, i]|V, |a[0, i]|J, |a[j, `]|V et |a[j, `]|J qui servent à d’autres filtres et àl’estimation de e-valeur.
VVVVVV
kPredicted V
⇥Substitution
V V V VV
Actual V
J J J J J J J J J J J
Predicted J
Actual J
Extracted window
w
VVVVVVVVVVVVV
Predicted V
⇥Substitution
Actual V
J J J J J J J J J J J
Predicted J
Actual J
Extracted window
< k
VVVVVVVVVVVVVVVVVVVVV
Predicted V
Actual V
⇥ ⇥Substitutions
No predicted J
Actual J
V V V VVVVVVVVVVVVVVVVV
Predicted V
Actual V
⇥J
⇥Substitutions
Predicted J
Actual J
Extracted window
Figure 3.4 – Localisation approximative de recombinaison VJ à base de k-mots [12]. Le but est de prédireune « fenêtre » à partir des k-mots V et J, centrée autant que possible sur la jonction réelle V-J. (Haut.)S’il n’y a pas de substitution à distance de k de la jonction réelle, la prédiction est parfaite. (Milieu haut.)Lorsqu’il y a une substitution proche de la jonction, la fenêtre prédite est au plus à k positions de la jonctionréelle. (Milieu bas.) Quand il y a trop de substitutions, la prédiction échoue. (Bas.) En réalité, les k-motspeuvent être espacés, en suivant des modèles de graines avec des jokers [111]. Avec un joker, on peut ainsidétecter plus de recombinaisons, et limiter l’erreur sur la position de la fenêtre à k/2 positions lorsqu’il ya une substitution.
3. Algorithmes pour l’analyse des recombinaisons V(D)J 25
a) n
o
M
b) o
m
c) n
d
� d �V
J
V
J
V
J
D M 0read
Figure 3.5 – Détermination de la recombinaison VDJ d’une séquence par programmation dynamique(phase 2). Une présentation de la comparaison de séquences par programmation dynamique peut se trouverdans [86, chapitre 6], ou, en français, dans [71, chapitre 7]. a) Les meilleurs alignements de la read avecun gène V et un gène J sont recherchés en temps O(Mn), où M est la taille totale des répertoires V et J etn la taille de la read. Dans cette première étape, les segments V et J sont traités de manière indépendante.b) Si les meilleurs alignements trouvés font se chevaucher le segment V et le segment J sur o n positions,le meilleur point de recombinaison est cherché par une autre programmation dynamique en temps O(mo),où m est la somme des tailles des gènes V et J de référence considérés. c) Dans le cas d’une recombinaisonVDJ, le meilleur D est recherché par un alignement local en temps O(M 0
(d+2�)), où M 0 est la taille totaledu répertoire D et d + 2� n la taille de la zone de la read où le D est recherché. Les chevauchementspotentiels entre V et D ou entre D et J sont traités de la même manière que précédemment. Au final,l’ensemble des étapes est en temps O((M + M 0
)n).
1c. Extraction de la fenêtre et regroupement des reads. Si la découpe de la chaîne d’affectation aété estimée pertinente, on extrait une fenêtre, de taille w = 50 nt, centrée sur le k-mer débutantau milieu des positions i et j. Toutes les reads partageant exactement la même fenêtre sont alorsregroupées dans un clone. Notons que la localisation par k-mots peut être approximative, à quelquesnucléotides près (figure 3.4, voir aussi évaluation à la section 4.1). L’essentiel est que la fenêtrecontienne suffisamment de matériel spécifique pour ne pas mener à des regroupements illusoires.Une localisation approximative mène à plusieurs clones qui seront regroupés, automatiquement oumanuellement, à la fin de l’algorithme.
Phase 2 : Analyse précise de chaque clone. Lorsque toutes les reads ont été regroupées enclones, une séquence consensus de chaque clone est extraite, là encore sans effectuer d’alignement.Dans chaque read, nous considérons les régions dont tous les k-mers sont présents avec une certaineproportion (par défaut 50%) dans toutes les reads du clone. La séquence consensus est alors la plusgrande de ces régions. Elle inclut nécessairement la fenêtre de 50 nt.
La dénomination V(D)J se fait ensuite sur cette séquence, par programmation dynamique, enutilisant des méthodes similaires à celles des logiciels existants (Fig. 3.5). L’ensemble de l’analyseest ainsi très rapide, car, lors de la première phase, aucun alignement n’est réalisé entre les readset les répertoires de gènes V(D)J. Une évaluation de cet algorithme sur des jeux de données depatients atteints de leucémie est présentée dans la section 4.1.
3.4 Analyse multi-locus et recombinaisons incomplètes
Locus et pseudo-locus. L’algorithme que nous avons proposé s’applique à l’ensemble des lo-cus Ig et TR (voir Fig. 2.5). Les locus menant à des recombinaisons VJ (Ig�, Ig, TR↵, TR�)s’analysent en sélectionnant les bons répertoires V et J pour construire les index de k-mers corres-pondants. Les recombinaisons VDJ (IgH, TR� et TR�) sont traitées par le même algorithme, en
26 3. Algorithmes pour l’analyse des recombinaisons V(D)J
étant considérées dans un premier temps comme des recombinaisons VJ. La détermination du Dse fait uniquement lorsque le V et le J ont été déterminés (Fig. 3.5, c).
Certains lymphocytes possèdent aussi des recombinaison incomplètes ou exceptionnelles (commeles recombinaisons D/J en IgH, D2/D3 en TR�, KDE/Intron, ou bien les recombinaisons mixtesTR↵/TR�). Il est toujours possible d’analyser ces recombinaisons tant qu’elles sont constituéesd’une région « gauche » (5’) et « droite » (3’). Nous appelons pseudo-locus ces régions (qui peuventêtre parfois sur des locus différents, comme dans les translocations BCL1/2-IgH).
Recombinaisons exceptionnelles sur le locus TR�. Une partie des recombinaisons excep-tionnelles TR� sont uniquement V/D ou D/J. Comme les gènes D sont très courts (8 à 37 nucléo-tides), il peut ne pas y avoir assez de k-mots pour les détecter, en particulier lorsque la recom-binaison a impliqué des mutations ou délétions. Nous avons alors inclus des régions avoisinantesaux gènes de référence, qui se retrouvent dans ces recombinaisons exceptionnelles (Fig. 3.6). Lefait d’ajouter ces régions aux gènes de référence correspond donc à la réalité biologique. De plus,ces recombinaisons, pour pouvoir être séquencées, sont récupérées à l’aide d’amorces qui peuventêtre présentes dans ces régions avoisinantes. Au final, les séquences représentées sur la figure 3.6sont correctement analysées par Vidjil, ce qui n’est pas le cas avec les programmes usuels d’ana-lyse (voir 4.1).
(9 nt)séquence amont TRDD2*01
----------------------=========...ACTGATGTGTTTCATTGTGccttcctacacaccgataaactcatctttggaaaaggaacccg...
=====================================TRDJ1*01(51 nt)
(9 nt)séquence amont TRDD2*01
----------------------=========...ACTGATGTGTTTCATTGTGccttcctacactgggggatacgCACAGTGCTACAAAACCTACA...
=============------------------------TRDD3*01 séquence aval(13 nt)
Figure 3.6 – Recombinaisons exceptionnelles dans le locus TR�. (Haut) Les recombinaisons D2-Jconservent la séquence amont du gène D2, alors que cette séquence amont est supprimée dans les recom-binaisons complètes VDJ. (Bas) Il existe même des recombinaisons D2-D3, qui incluent aussi la séquenceaval du gène D3.
Sélection du meilleur locus. L’analyse multi-locus contient actuellement 14 locus ou pseudo-locus (voir 4.1). Le locus retenu pour chaque read est celui qui propose une recombinaison avec lap-valeur la plus faible possible. La e-valeur est cette fois-ci calculée en multipliant la p-valeur parle nombre de reads ainsi que par le nombre de locus traités.
4
Développement, évaluation
et mise en production de Vidjil
Les premiers contacts avec le laboratoire d’hématologie du CHRU de Lille (à l’époque avecClaude Preudhomme, Christophe Roumier, Nathalie Grardel et Aurélie Caillaut) ont eu lieu endécembre 2010 grâce à Martin Figeac, responsable de la plateforme de séquençage de Lille, lorsd’une recherche de collaborateurs sur des thématiques cancer. Mikaël Salson et moi avons abordéce projet par notre spécialité, l’analyse de séquences. Le premier run de séquençage a été effectuéfin 2011. À partir de ce moment, nous avons travaillé sur l’analyse haut-débit, toujours en lien avecla plateforme et le laboratoire. Début 2012, à l’occasion d’un projet étudiant de David Chatel,nous commençons un nouveau programme en C++ qui deviendra par la suite Vidjil (section 4.1).
Nous avons progressivement ressenti le besoin de permettre à des utilisateurs biologistes d’ac-céder à nos résultats. À partir de 2013 et du recrutement de Marc Duez, nous avons développéune application web conviviale (www.vidjil.org, section 4.2) couplée à un serveur (section 4.3).Au début pensés comme une interface à Vidjil, l’application web et le serveur ont progressivementévolué pour être plus génériques et s’adapter au travail quotidien des hématologues ou immuno-logistes en situation clinique ou de recherche. À notre connaissance, Vidjil est la seule plateformepermettant aujourd’hui un travail autonome sur des données de Rep-Seq.
2011 2012 2013 2014 2015 2016
Mathieu Giraud et Mikaël Salson
Marc Duez M. Duez (Bristol)
Tatiana Rocher
Florian Thonier (Necker)
Ryan Herbert
versions publiques de l’algorithme �! Npremière
heuristique
M M M N
meilleure
heuristique
MMNanalyse
multi-locus
MM MMN
e-valeurs
MM Nmeilleure
assignation V(D)J
M M
serveur public de test
?
Désormais rejoints par Tatiana Rocher, Florian Thonier et Ryan Herbert, nous continuons ledéveloppement sur les trois composants – algorithme, application web et serveur. Antonin Caretteet François Dubiez, étudiants en licence et en master, ont aussi participé ponctuellement à cesdéveloppements.
Nous soumettons à PLoS Computational Biology un court article décrivant l’ensemble de laplateforme [21].
www.vidjil.org
28 4. Développement, évaluation et mise en production de Vidjil
read
affectations des k-mots
UNSEG too short La read est plus courte que la graine utiliséeO(kn) + O(n)
?
sens de lecture déterminé
UNSEG strand Pas de sens dominant entre les affectations + et �O(n)
UNSEG too few V/J Pas assez de similaritésUNSEG only V Similarités avec des gènes V, mais pas assez avec les gènes JUNSEG only J Similarités avec des gènes J, mais pas assez avec les gènes VUNSEG ambiguous Similarités avec des gènes V et J, mais mélangéesét
apes
1aet
1b
O(n)
position de la jonction V/J détectée
O(n)
jonction V/J extraite
SEG+ / SEG-
UNSEG too short Point de recombinaison trouvé, mais read trop courte1c
Figure 4.1 – Traitement d’une read dans Vidjil (phase 1, voir pages 22 et suivantes) et raisons de non-segmentation. Les raisons too few V/J, only V, only J et ambiguous correspondent à des échecs desfiltres et tests statistiques utilisés sur la découpe de la chaîne d’affectation (étape 1b, voir page 23). Toutesces étapes sont réalisées en temps linéaire par rapport à la taille de la read (n) et ne comprennent aucunalignement complet avec les gènes V/J de référence. Cependant, la toute première étape demande d’extrairetous les k-mers (O(k) opérations par position dans le cas de graines espacées) puis de faire O(n) accèsmémoire a priori non contigus dans l’index de tous les k-mers.
4.1 L’analyse haut-débit
La méthode décrite au chapitre précédent est implémentée dans Vidjil en C++. Le programmeprend en entrée un fichier de séquences (.fasta, .fastq, ou fichiers compressés .gz) et regroupeles séquences avec des recombinaisons V(D)J en clones. Pour cela, chaque read est traitée en tempslinéaire pour extraire (ou non) une fenêtre centrée sur un CDR3 (voir pages 22 et suivantes).L’analyse détaillée, avec désignation des gènes V(D)J, n’est faite que dans une deuxième phase.On peut de plus limiter cette deuxième phase aux 10, 100 ou 1000 premiers clones et ainsi accélérerencore le traitement tout en obtenant rapidement les données pertinentes sur les clones dominants.Dans ce cas, on peut même s’intéresser à un clone connu qui ne serait pas majoritaire en spécifiantsa fenêtre.
Multi-locus. La première version de Vidjil analysait des recombinaisons complètes TR� et IgH.Nous avons progressivement étendu cette analyse pour reconnaître l’ensemble des locus recombinéshumains (voir Fig. 2.5), notamment en employant les techniques présentées à la p. 25. Il estaussi possible de configurer le programme pour rechercher d’autres recombinaisons. Les gènes deréférence V/J et les autres régions génomiques sont récupérés depuis IMGT/GENE-DB [92] et pardes requêtes à GenBank (ncbi.nlm.nih.gov).
Évaluation de l’efficacité et de la vitesse. Nous avons comparé Vidjil aux logiciels reconnuscomme référence, à savoir IMGT/V-QUEST et IMGT/HighV-QUEST, mais aussi IgBlast. Sansrecourir aux alignements, la phase 1 de Vidjil prédit une localisation de cette fenêtre suffisammentprécise pour faire un bon regroupement : sur un jeu de données provenant d’un patient du CHRUde Lille, la localisation est à moins de 10 nt du centre prédit par IMGT dans 97% des cas, et à
ncbi.nlm.nih.gov
4. Développement, évaluation et mise en production de Vidjil 29
Distance Vidjil – IgBlast IgBlast – HighV-QUEST Vidjil – HighV-QUEST0 .. 4 26993 (94.4%) 22177 (87.6%) 21138 (90.0%)5 .. 9 903 (3.2%) 2646 (10.5%) 2140 (9.1%)
Diag 10 .. 14 284 (1.0%) 211 (0.8%) 153 (0.7%)15 .. 19 158 (0.6%) 108 (0.4%) 23 (0.1%)� 20 0 0 347 (1.5%)
Distance Vidjil – IgBlast IgBlast – HighV-QUEST Vidjil – HighV-QUEST0 .. 4 25817 (96.1%) 21066 (88.4%) 20154 (88.1%)5 .. 9 855 (3.2%) 2450 (10.3%) 2328 (10.2%)
Scale-10�5
10 .. 14 149 (0.6%) 289 (1.2%) 354 (1.5%)
15 .. 19 25 (0.1%) 12 (0.1%) 29 (0.1%)� 20 0 53 (0.2%) 0
0 5 10 15
0.5
1
1.5
2
2.5
·10
4
Distance between the predicted junction centers
Readswithcompatible
prediction
Mutation rate: 0%
Vidjil – IgBlastIgBlast – HighV-QUESTVidjil – HighV-QUEST
Figure 4.2 – Comparaison de la localisation du centre de la fenêtre par la phase 1 de Vidjil avec lalocalisation du centre du CDR3 détecté par IgBlast et IMGT/HighV-QUEST, sur les 100 000 premièresreads d’un échantillon de diagnostic de leucémie aiguë (Diag, haut) et sur une dilution (Scale-10
�5, bas etcourbe) [12]. Dans plus de 99% des cas, la localisation prédite par Vidjil est à une distance inférieure à 15nucléotides de la prédiction des autres programmes. Ce taux reste au-dessus de 99% même en ajoutant 6%de mutations supplémentaires (données non reproduites, voir [12]).
moins de 15 nt dans 99% des cas (Fig. 4.2), ce qui fait que la fenêtre de 50 nt englobe largementune zone spécifique à chaque CDR3 [12].
La phase 2 de Vidjil analyse correctement plus de séquences que IMGT/V-QUEST et IgBlasten ce qui concerne la désignation V(D)J (Tab. 4.3) [19]. Notons cependant que ces outils, en parti-culier IMGT/V-QUEST, ont de nombreuses autres fonctionnalités qui ne rentrent pas actuellementdans les objectifs de Vidjil. À notre connaissance, Vidjil est aujourd’hui le seul logiciel publié àanalyser certaines recombinaisons incomplètes (D2/D3 en TR�, KDE/Intron en Ig, recombinai-sons mixtes TR�/TR↵, voir section 3.4). Cela dit, ces analyses sont abordables, même par uneprogrammation dynamique : il est à prévoir que d’autres logiciels réussissent prochainement àtraiter ces recombinaisons.
Enfin, les temps d’analyse sont compatibles avec un travail quotidien de recherche ou clinique.Sur un portable standard, la version 2015.07 de l’algorithme analyse 1 Gbp (un milliard de nu-cléotides) en moins de 5 minutes pour un locus. Les locus multiples et incomplets demandent pourl’instant plusieurs itérations de l’algorithme et sont jusqu’à 10 fois plus lents (voir section 6.1).
Ces temps restent très inférieurs aux temps demandés par les solutions faisant une analysecomplète de chaque read. IMGT/HighV-QUEST (version 3.2.31, lancée à partir du serveur web
30 4. Développement, évaluation et mise en production de Vidjil
Concordance entre les trois logicielsMême désignation 58 (46%)Différences négligeables 21 (17%)Différences significatives 46 (37 %)IMGT/V-QUEST et IgBlastDésignation correcte (par au moins un des deux logiciels) 77 (62 %)Pas de désignation ou mauvaise désignation 48 (38 %)
TR�D3 29TR�D3-TR↵J29 1TR↵J29 1KDE (locus Ig) 17
VidjilDésignation correcte 113 (90%)Pas de désignation ou mauvaise désignation 12 (10 %)
Mauvaise détection du gène central 2TR�J2 au lieu de TR↵J29 2Mauvaise détection de la jonction 7Pas de désignation 1
Table 4.3 – Évaluation des désignations V(D)J faites par IMGT/V-QUEST (version 3.3.2), IgBlast (ver-sion 1.4.0) et la phase 2 de Vidjil (versions 2015.04 et 2015.05), sur les séquences de 125 clones identifiésau diagnostic et à la rechute chez 34 patients atteints de leucémie aiguë (janvier-mars 2015) [19]. Les 46séquences dont la désignation était discordante entre au moins deux des logiciels ont été analysées manuel-lement pour déterminer la bonne solution et classifier les erreurs des logiciels. Cette évaluation, conduitepar Yann Ferret, montre que Vidjil trouve une désignation correcte à 90% des clones. De plus, certainesdes erreurs de Vidjil ont été corrigées dans les versions ultérieures.
IMGT sur des machines puissantes) met ainsi plus d’une heure pour analyser 100 000 reads. Nouseffectuerons dans les prochains mois une comparaison plus complète incluant les outils présentéspage 21, certains n’ayant été publiés qu’en 2015.
4.2 L’application web
L’application web de Vidjil, ou browser, permet d’explorer des populations de lymphocytes.Conçue en 2013 pour afficher les résultats de l’algorithme, elle a aujourd’hui évolué vers un envi-ronnement de travail complet pour l’hématologue, en clinique ou en recherche. Marc Duez a conçul’essentiel de cette application, en Javascript avec jQuery et d3.js, et depuis tous les développeurssur Vidjil y contribuent, en particulier Ryan Herbert, ingénieur recruté pour deux ans grâce ausupport d’une ADT Inria.
En entrée, l’application web prend des données analysées par l’algorithme de Vidjil (ou pard’autres pipelines) sous forme d’un fichier Json. Ce fichier contient diverses informations sur lesclones principaux, avec en particulier leur abondance et leur assignation V(D)J. L’application webest composée de différentes vues : une liste de clones, une représentation des clones en grille ou enhistogramme, une liste de séquences, et, lorsqu’il y a plusieurs points de suivi, un graphe au coursdu temps. Sur la grille, chaque clone est représenté par une bulle. La collision des bulles est géréespar une méthode utilisant un quad-tree [39]. Les axes de la grille, représentant par défaut les gènesV et J, sont configurables pour réaliser différentes statistiques sur la population. Un clic sur unclone n’importe où dans l’application sélectionne le clone dans toutes les vues, en particulier enaffichant sa séquence et l’alignant éventuellement contre d’autres séquences.
D’autres logiciels font aussi de la visualisation de résultats d’analyse Rep-Seq, tels que Vdj-Viz [184] ou ARReST/Interrogate [183]. L’originalité de l’application web de Vidjil est de permettred’explorer en détail certains clones et de se rapprocher le plus possible de la pratique clinique hé-
4. Développement, évaluation et mise en production de Vidjil 31Duez et al
sequence fileswith CDR3
high-throughputalgorithm
� reports � clone sequences� IMGT/V-QUEST � IgBlast � Blast
.vidjil
Fig. 1. The Vidjil platform. The algorithm gather reads into clones represented in a .vidjil json file. The interactive browser loads this file and displaysclones on a list (left), on a grid (middle) and on a time graph when there are several samples (right). Data can be exported or sent to other software. Whenusing a server with a patient database, the user directly uploads and processes her sequences form the browser and saves in the database her own annotations.
between clones using a tSNE algorithm (van der Maaten and Hinton,2008). The user can further study some clones by sending their sequencesto IMGT/V-QUEST (Brochet et al., 2008), IgBlast (Ye et al., 2013) orBlast (Karlin and Altschul, 1990). The browser also provides reports,multiple normalization methods, the ability to edit the automatic V(D)Jassignation, and statistics.
2.3 Server with sample and patient databaseA patient database links the browser and the algorithmic part. Users uploadsequence files and manage their jobs directly on the browser. A server,implemented in Python with web2py, queues the job requests.
Users select the samples they want to display in the browser: eithermultiple samples from an unique patient made at different times (for exampleto study MRD or immune response), samples from different patients tocompare their immune repertoires, or results made from the same samplewith different biological or software pipelines.
The server has an authentication mechanism. By default, the files andthe results are private. They can also be shared to selected other users or toeveryone, possibly while hiding patient personal informations. Annotationsand other edits made by users can be saved.
Installing the server in an hospital or a research lab does not requirehuge computation facilities but only disk storage to store input data (asfor any high-throughput sequencing experiment). Our public test server(www.vidjil.org) runs with two Intel(R) Core(TM) i5-2400 CPU with 16GBRAM, characteristics that are now common even among laptops.
3 USAGES AND DISCUSSIONThe public test server was opened in October 2014. 40 labs of 11different countries submitted almost 5 billion sequences in 1,600jobs, with an average of 3,100,000 reads per job. Data mostly camefrom Illumina Mi-Seq and Ion Torrent sequencers. Paired-end datawere entered either separetely, or after processing by software suchas PEAR (Zhang et al., 2014) and pRESTO (Vander Heiden et al.,2014). The Vidjil algorithm works on reads coming from eitheramplicon-based or capture-based deep sequencing strategy. WhileDNA-Seq sequencing with specific V(D)J primers usually lead tomore than 95% analyzed sequences, capture with many probes orRNA-Seq strategies usually lead to datasets with less than 0.1%V(D)J recombinations.
Analysis times are compatible with daily research or clinicalwork. On a standard laptop, the version 2015.07 of the algorithmprocesses 1 Gbp in less than 5 minutes for a single locus. Multiplelocus and incomplete recombinations require several iterations ofthe algorithm and may be up to 10⇥ slower. On the server, 95% ofthe submitted jobs were processed in less than 10 minutes.
HTS offers the perspective of cheaper, quicker and more thoroughanalyses of patient lymphocytes. Vidjil has been designed with this
purpose in mind: helping clinicians and researchers analyzing theirdata without further bioinformatics knowledge. The Lille hospitalis now routinely using HTS with Vidjil to study diagnosis of acutelymphoblastic leukemia (ALL) samples (Grardel et al., 2014), andseveral other hospitals also regularly use the platform. Other Vidjilusers have estimated the immunological repertoire in mouse (Linkeret al., 2015) and evaluated the clonal diversity in ALL MRD tobetter stratify patients (Kotrova et al., 2015).
Acknowledgement: We thank all users of Vidjil for their feedback.Funding: This work was supported by SIRIC ONCOLille [Grant INCa-DGOS-Inserm 6041] and Region Nord–Pas-de-Calais.
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2
Figure 4.4 – Architecture de la plateforme Vidjil. Les clones détectés par l’algorithme sont stockés dansun fichier json .vidjil. L’application web charge ce fichier et affiche les clones en liste (gauche), sur unegrille (milieu), et sur un graphe lorsqu’il y a plusieurs points (droite). Les données peuvent être exportéesou envoyées vers d’autres logiciels d’analyse. Lorsque l’application web de Vidjil est couplée à un serveuravec une base de données patients, l’utilisateur charge directement ses séquences depuis l’application webpour lancer l’algorithme. Il peut ensuite sauvegarder ses annotations dans la base de données [21].
matologique, tout en étant facilement lié au programme d’analyse. L’ensemble de l’application webest pensée pour être en interaction avec l’utilisateur qui peut annoter, étiqueter ou corriger certainsclones et les transmettre à d’autres programmes d’analyse : IMGT/V-QUEST [110], IgBlast [163]et Blast [59]. L’utilisateur peut aussi éditer manuellement la désignation V(D)J pré-calculée. Uneopération particulière est la fusion de clones similaires décidée par l’utilisateur qui souhaite re-grouper des séquences avec quelques différences qui pourraient venir d’imprécisions technologiques(PCR, séquençage) ou d’hypermutations biologiques. Pour aider cette décision, l’application webpropose un outil d’alignement multiple et une représentation 2D de l’ensemble des clones repo-sant sur une distance d’alignement (algorithme tSNE [116]). L’application web permet enfin denormaliser des séries de données et de générer des rapports pour les dossiers patients.
4.3 Le serveur et la base de données d’échantillons et de pa-tients
Les utilisateurs peuvent directement entrer leurs séquences dans l’application web. En arrière-plan, un serveur avec une base de données d’échantillons et de patients, développé en web2py, fait lelien avec l’algorithme et gère une file d’attente. Après authentification, les utilisateurs peuvent ainsicréer des fiches de patients, lancer Vidjil (ou prochainement d’autres programmes) et enregistrerleurs modifications. Ce serveur, développé à partir de début 2014 par Marc Duez, rend la plateformeautonome et a permis d’attirer de nombreux utilisateurs (voir section 5.1).
Via le serveur, il est possible de visualiser en même temps les échantillons du même patient,que ce soit en suivi de MRD ou pour l’étude de réponse immunologique, mais aussi d’afficher deséchantillons de patients différents ou provenant de différents programmes ou paramétrages. Lesfichiers de résultats sont privés mais peuvent être partagés avec d’autres utilisateurs ou renduspublics, éventuellement après anonymisation des données personnelles.
4.4 Développement, intégration continue, mise en production
Vidjil est un logiciel stable. En particulier grâce à Jean-Frédéric Berthelot, nous avons misprogressivement en place des bonnes pratiques de développement logiciel pour accompagner lamise en production du logiciel, son ouverture à plusieurs utilisateurs, et l’agrandissement de notreéquipe (6 développeurs, plus de 4 000 commits lors des derniers 24 mois). Nous utilisons en interne
32 4. Développement, évaluation et mise en production de Vidjil
>TRGV5*01 4/AG/5 TRGJP2*01 [TRG]TTGATACTACGAAATCTAATTGAAAATGATTCTGGGGTCTATTACTGTGCCACCTGGGAagAGTGATTGGATCAAGACGTTTGCAAAAGGGACTAGGCTCATAGTAACTTCGCCTGGTAA
>TRBV7-2*02 0//3 TRBJ2-3*01 [TRB]CCAAGGCAACAGTGCACCAGACAAATCAGGGCTGCCCAGTGATCGCTTCTCTGCAGAGAGGACTGGGGAATCCGTCTCCACTCTGACGATCCAGCGCACACAGCAGGAGGACTCGGCCGTGTATCTCTGTGCCAGCAGCTTTAGCACAGATACGCAGTATTTTGGCCCAGGCACCCGGCTGACAGTGCTCGGTAAGCGGG
>TRDD2*01 0/4/3 TRDD3 0/2/3 TRDJ1*01 [TRD+] TODOAgcgggtggtgatggcaaagtgccaaggaaagggaaaaaggaagaagagggtttttatactgatgTGTTTCATTGTGCCTTCCTACGTGAGGGGGATACGCCCCGATAAACTCATCTTTGGAAAAGGAACCCGTGTGACTGTGGAAC
# The D/J junction can be seen as 2//7, 3//6, or 4//5>IGHV3-48*01 0/AA/6 IGHD5-12*01 3//6 IGHJ4*02 [IGH]TGTGAAGGGCCGATTCACCATCTCCAGAGACAATGCCAAGAACTCACTGTATCTGCAAATGAACAGCCTGAGAGCCGAGGACACGGCTGTGTATTACTGTGCGAGAGAaaATAGTGGCTACGAttTGACTACTGGGGCCAGGGAACCCTGGTCACCGTCTCCTCAGTT
# or TRDV2*03>TRDV2*01 0/C/1 TRDD3*01 4/CCGCCT/0 TRAJ29*01 [TRA+D]ATACCGAGAAAAGGACATCTATGGCCCTGGTTTCAAAGACAATTTCCAAGGTGACATTGATATTGCAAAGAACCTGGCTGTACTTAAGATACTTGCACCATCAGAGAGAGATGAAGGGTCTTACTACTGTGCCTGTGACACCCCTGGGGGAccgcctGGAATTCAGGAAACACACCTCTTGTCTTTGGAAAGGGCACAAGACTTTCTGTGATTGCAAGTAAGTGTTTCTAGC
Figure 4.5 – Quelques séquences manuellement annotées (should-vdj.fa). Ces tests incluent des sé-quences relativement simples à analyser, d’autres pour lesquelles Vidjil ne donne pas encore de réponse satis-faisante (cas marqué TODO, ici un double D), ainsi que des séquences ambiguës (recombinaison IGHV3-48*010/AA/6 IGHD5-12*01 3//6 IGHJ4*02, voir Fig. 2.4). Une syntaxe pour spécifier formellement les ambiguï-tés sera prochainement définie.
un gestionnaire de tâches pour suivre et hiérarchiser les évolutions à faire au logiciel (depuis début2014, environ 900 tâches créées dont 500 réalisées).
Nous faisons particulièrement attention à la qualité du code et à la documentation utilisateuret développeur. Dans une démarche d’intégration continue (Jenkins) et de releases régulières, nousavons ajouté systématiquement des tests à Vidjil. Plus de 1 200 tests, unitaires et fonctionnels,visent les trois composants, algorithme, application web et serveur.
En particulier, pour les tests fonctionnels de l’algorithme, nous avons rassemblé une collectiond’une centaine de séquences manuellement annotées (should-vdj.fa) pour tester la dénominationV(D)J de la phase 2, mais aussi la détermination du locus au cours de la phase 1 (Fig. 4.5). Lesséquences sont de difficultés différentes. Ces désignations ont été vérifiées à la main, éventuellementavec d’autres outils bioinformatiques, et ont été fournies par Yann Ferret et Aurélie Caillault(CHRU Lille), Florian Thonier (Inserm, Paris Necker) et d’autres développeurs de Vidjil.
Déploiement et hébergement du serveur. Nous avons ouvert à l’automne 2014 un serveur detest (app.vidjil.org), et le serveur est en cours d’installation à l’hôpital de Lille et dans d’autresendroits.
Vu l’efficacité de l’algorithme, installer le serveur ne nécessite pas de grosses ressources, maissurtout de l’espace disque pour stocker les fichiers originaux de séquences. Notre serveur de testactuel utilise deux processeurs que l’on trouve même sur des portables grand-public (Intel(R)Core(TM) i5-2400 CPU avec 16Go de RAM).
5
Vidjil : usages, analyse de données
et résultats
Vidjil a tout d’abord été conçu pour nos partenaires de l’hôpital de Lille, où il est maintenantutilisé en situation de routine au moment du diagnostic des leucémies aiguës (section 5.2) et testéau cours du suivi (section 5.3). Au cours de l’année 2014, nous avons commencé à avoir des liensavec d’autres laboratoires. Nous avons ouvert un serveur public de test en octobre 2014, et Vidjil estdepuis lors utilisé de manière régulière par des laboratoires en France et dans le monde (section 5.1).Vidjil a été en particulier utilisé par le laboratoire de Prague pour une étude sur la diversité durépertoire (section 5.4).
Quelques utilisateurs réguliers de Vidjil au 1er janvier 2016.
La première publication avec nos collègues lillois dans BMC Genomics comprend à la fois de laméthodologie bioinformatique et l’application en hématologie [12]. Les publications ou soumissionssuivantes, que ce soit celles de Lille [13, 19, 22] ou des autres groupes (dans lesquelles nous nesommes pas forcément co-auteurs) [18, 179, 175], portent avant tout sur des thématiques hémato-logiques ou immunologiques. Le fait que Vidjil soit utilisé directement par des biologistes dans leurpratique clinique ou de recherche est, pour nous, un indicateur clé de son succès.
34 5. Vidjil : usages, analyse de données et résultats
5.1 Utilisations du serveur de test app.vidjil.org
En 14 mois, plus de 40 laboratoires provenant de 11 pays différents ont testé Vidjil et ont ainsisoumis 1600 jobs totalisant environ 5 milliards de séquences (moyenne de 3 millions de reads parjob). 95% de ces travaux soumis ont été traités en moins de 10 minutes.
Stratégies de séquençage. Les données proviennent majoritairement des séquenceurs IlluminaMi-Seq et Ion Torrent. Une partie des données sont des données « paired-end », pour lesquelleschaque fragment d’ADN est séquencé par les deux extrémités, engendrant deux reads. Ces donnéespeuvent être pré-traitées par des logiciels tels que PEAR [171] ou pRESTO [169]. Les donnéesproviennent d’approches de séquençage à haut-débit basées sur la PCR (comme les amorces BIO-MED2), séquençage d’ARN (RNA-Seq) ou bien sur la capture (voir section 2.3).
Des PCR avec des amorces spécifiques aux gènes V(D)J conduisent généralement à plus de 95%de séquences analysées. Au contraire, la capture avec de nombreuses sondes et le séquençage del’ARN total donnent généralement un ensemble de séquences avec seulement une faible partie derecombinaisons V(D)J (moins de 0,1%).
Quelques utilisations de Vidjil.
— Plusieurs laboratoires travaillent sur les leucémies aiguës, en fort lien avec la clinique. Lestravaux des laboratoires d’hématologie de Lille et de Prague sont détaillés dans les prochainespages. À Bristol, Marc Duez met désormais en place d’un pipeline de diagnostic et de suivides leucémies aiguës à l’échelle du Royaume-Uni (voir page 41). D’autres laboratoires testentVidjil pour l’étude des leucémies (Rennes, Montpellier, Bergame).
— À Londres (UCL), des tests sont en cours depuis début 2015 sur des stratégies de capture(M. Hubank, J. Bartram) pour déceler des recombinaisons particulières.
— À Paris, au laboratoire d’hématologie de Necker (E. Macintyre), plusieurs projets sont menés :étude sur la normalité des CDR3, étude de populations de lymphocytes T chez des patientssains en fonction de leur localisation dans le thymus. Pour cela, le laboratoire finance lecontrat de F. Thonier, ingénieur qui travaille aussi partiellement sur Vidjil (voir page 41).D’autres projets sur la capture sont aussi prévus.
— Plusieurs utilisateurs mènent des projets de RNA-Seq et se servent de Vidjil pour analyserou filtrer les recombinaisons immunologiques au milieu d’autres données, tels que l’hôpitalde Lyon (S. Huet), l’Institut Gustave Roussy (Villejuif), ou l’université McGill (Montréal,Canada).
— Vidjil est aussi utilisé pour des données d’autres organismes, comme à Göttingen (Allemagne)dans des études sur le répertoire de la souris et du rat [179, 175].
Nous avons d’autres utilisateurs réguliers (voir carte page précédente) dont nous ne connaissonspas l’objet des recherches. Enfin, certains laboratoires se servent directement de Vidjil en lignede commande. En septembre 2015, nous avons envoyé un sondage aux utilisateurs connus (www.vidjil.org/survey), en particulier pour définir les prochaines priorités. Nous avons obtenu desréponses de 17 laboratoires provenant de 8 pays. Une partie de ces utilisateurs se retrouveront àl’occasion du workshop que nous organisons en mars 2016 (voir section 6.2) pour échanger sur lesprotocoles, les utilisations de Vidjil, et discuter d’évolutions futures.
www.vidjil.org/survey
www.vidjil.org/survey
5. Vidjil : usages, analyse de données et résultats 35
5.2 Diagnostic des leucémies aiguës lymphoblastiques (Lille)
Notre collaboration avec le laboratoire d’hématologie du CHRU de Lille (Claude Preudhomme,Nathalie Grardel, Aurélie Caillault, Yann Ferret, Nicolas Duployez) et la plateforme de séquençage(Martin Figeac, Céline Villenet, Shéhérazade Sebda) a débuté fin 2010 (voir historique page 27).Depuis 2012, le laboratoire et la plateforme ont fait plusieurs tests [13] combinant le NGS avec uneutilisation de Vidjil, pour arriver à un protocole utilisant l’Ion Torrent sur 3 jours et demi (Tab. 5.1).C’est pour répondre à leur besoins d’utilisation hospitalière que nous avons progressivement dé-veloppé et déployé l’application web couplée à la base de données de patients. La phase d’analysebioinformatique avec Vidjil est ainsi réalisée aujourd’hui en autonomie par les hématologues.
Jour 1 (8h)Préparation administrativePréparation et réalisation des 5 PCRs
Jour 2 (7-8h)Pool des 5 PCRs, barcodage, purificationsPréparation et lancement de l’OT2
Jour 3 (4h)Fin de l’OT2, préparation et lancement du run PGM
Jour 4 (2h)Récupération des données, nettoyage du PGMTransfert des données et analyse Vidjil
Table 5.1 – Résumé du protocole mis en place à Lille par A. Caillaut (ingénieur biologiste) et Y. Ferret(interne en biologie médicale, pharmacien) pour l’analyse des échantillons de diagnostic et de rechute avecle séquenceur IonTorrent PGM [19].
Diagnostic en routine. Depuis le 1er janvier 2015, ce protocole est testé en routine par AurélieCaillault, Yann Ferret et Shéhérazade Sebda, directement dans le laboratoire d’hématologie. Ceprotocole concerne pour l’instant les échantillons de diagnostic (et de rechute) qui vont donnerlieu à un suivi MRD : l’objectif principal est de détecter le plus de marqueurs possibles pour lesuivi futur de la maladie. Il n’a pas encore remplacé la méthode traditionnelle, mais il est fait enparallèle dans le but de, un jour, la remplacer. Sur l’ensemble de l’année 2015, les échantillons de215 nouveaux patients atteints d’une leucémie aiguë (LAL) ont été pris en charge par le laboratoired’hématologie de Lille – le laboratoire analysant les échantillons de patients de Nord-Pas-de-Calais–Picardie, mais aussi ceux de Rhône-Alpes et de Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Tous ces patients nerentrent pas dans le cadre du suivi MRD. Au final, 129 patients (112 pédiatriques, 17 adultes) ontété suivis par Rep-Seq avec analyse Vidjil.
Résultats. Une étude détaillée des échantillons analysés au premier trimestre (janvier – mars2015, 34 patients, 34 diagnostics + 2 rechutes), menée dans le cadre du M2 de Yann Ferret, est souspresse dans British Journal of Haematology [19]. Les visualisations des analyses de ces échantillonssont consultables publiquement (www.vidjil.org/bjh-2016). À court terme, les bénéfices obtenussont moins d’échec de séquençage (14 % en Rep-Seq contre 34 % par la méthode traditionnelle).Sans le NGS, trois patients n’auraient pas pu bénéficier d’un suivi de MRD faute d’identificationde clone majoritaire. De plus, on détecte d’emblée plusieurs marqueurs permettant la MRD (lesprotocoles européens recommandent de suivre au moins 2 marqueurs par patient). Même si d’autresméthodes et logiciels Rep-Seq auraient pu analyser ces données, l’utilisation de Vidjil a eu un certainnombre d’avantages décisifs :
— L’analyse multi-locus de Vidjil est précise et complète. Les désignations V(D)J proposées parVidjil ont été vérifiées et comparées aux résultats d’IgBlast et IMGT/V-QUEST. Celles deVidjil sont en général plus conformes à l’analyse manuelle des séquences, et permettent de
www.vidjil.org/bjh-2016
36 5. Vidjil : usages, analyse de données et résultats
détecter plus de recombinaisons, principalement parce que nous analysons aussi des recom-binaisons incomplètes ou exceptionnelles (Tab. 4.3, au chapitre précédent) ;
— L’ensemble de la plateforme Vidjil, via l’application web couplée à la base de données depatients, a permis une utilisation simple et efficace par les hématologues. Les échantillonsdes 129 patients ont ainsi été analysés en autonomie par les hématologues, y compris pourla partie bioinformatique (téléchargement des données, lancement de Vidjil, post-analyse etannotations manuelles, sauvegarde, impression des rapports).
Coûts et perspectives. Ce protocole exige une expertise technique et humaine différente destechniques traditionnelles. Cependant, à moyens équivalents, l’analyse de la réception de l’échan-tillon à la validation biologique est plus courte que par le protocole classique. Les coûts de fonction-nement pour ce protocole, incluant le séquençage comme les autres étapes, sont estimés aujourd’huientre 70 e et 120 e par échantillon, en fonction du nombre d’échantillons séquencés simultanément(20 à 8). Le coût dominant reste l’acquisition des séquenceurs.
Les amorces de suivi sont désormais réalisées à partir des clones identifiés par NGS. D’autreshôpitaux (Rennes, Bruxelles) testent maintenant ce protocole. En 2016, l’hôpital de Lille poursuitdes analyses Rep-Seq et Vijdil pour les patients atteints de leucémie aiguë (LAL) et cherche àétendre le diagnostic aux leucémies chroniques (LLC, locus IgH avec mesure des hypermutations).
5.3 Suivi des leucémies aiguës lymphoblastiques (Lille)
À terme, le but est de réaliser aussi le suivi des LAL en Rep-Seq/Vidjil. Nos résultats prélimi-naires portent sur le suivi de 11 patients sur les locus TR� et/ou IgH et concernent des échantillonsprélevés entre 2011 et 2014. Nos collègues du CHRU, en particulier Nathalie Grardel, ont pu suivreles évolutions de la maladie, y compris sur plusieurs clones, certains émergeant après le diagnos-tic (Fig. 5.2) :
— Le patient 0013, initialement à risque standard (AR1 du protocole EORTC-58081, voir sec-tion 2.2), a été réévalué à haut risque (VHR) après une insuffisance de réponse aux premierstraitements (induction). L’analyse Rep-Seq montre que les deux clones principaux au diag-nostic ont une évolution non parallèle.
— Le patient 0064 a eu deux rechutes aux jours 615 (après diagnostic) et 837. Les clones princi-paux détectés en TR� (TRGV3*01 -0/6/-16 TRGJP1*01) et en IgH (IGHV6-1*01 -27/19/-4IGHJ4*02) ont des évolutions parallèles : ces séquences proviennent probablement de la mêmepopulation de cellules. En TR�, la deuxième rechute, au jour 837, comporte un autre cloneà environ 20% des reads (TRGV2*02 -0/2/-0 TRGJP1*01). Ce clone était présent depuis lediagnostic et avait eu une augmentation dès le jour 403. Malheureusement ce jeune patientest décédé 4 ans après le diagnostic.
— Le patient 0010 a eu une rechute (jour 413) puis une allogreffe de moelle osseuse au jour 486.Les deux derniers points avant la greffe (jours 445 et 475) ont été relevés après administrationdes traitements préparatoires à la greffe (NECTAR, Nelarabine, Etoposide et Cyclophospha-mide). Les techniques conventionnelles ne détectaient pas le clone du diagnostic dans lesprélèvements des jours 81, 445 et 475, tandis que l’étude Rep-Seq les détecte à un très faibleniveau (4 à 11 reads). Deux ans après la greffe, ce patient n’a pas rechuté.
Ces résultats sont détaillés dans un article en cours de préparation [22] et sont pour l’instantdescriptifs, obtenus a posteriori. Ils devraient être approfondis avant de devenir utilisables surdes études prospectives. Est-ce possible de détecter, avant rechute, un nouveau clone émergeantpour mieux adapter le traitement ? Ces questions sont complexes et soulèvent des défis cliniques,biologiques et algorithmiques.
5. Vidjil : usages, analyse de données et résultats 37
0010 (TR�) 0013 (IgH)+413+81 +445 +475
100%
10%
1%
0.1%
0.01%
0.001%
0.0001% TRGV5*01 -0/5/-3 TRGJ1*02TRGV2*02 -15/8/-6 TRGJP2*01TRGV8*01 -4/6/-12 TRGJ1*02TRGV3*01 -0/2/-0 TRGJ1*01TRGV3*01 -5/13/-8 TRGJ1*02
+60 +120 +246 +274100%
10%
1%
0.1%
0.01%
0.001%
0.0001% IGHV3-64*02 -0/17/-8 IGHD6-19*01 -1/15/-8 IGHJ6*02IGHV3-74*01 -1/0/-10 IGHD1-26*01 -0/0/-2 IGHJ6*02IGHV4-59*01 -1/0/-10 IGHD1-26*01 -2/0/-9 IGHJ6*02IGHV3-30*03 -6/26/-8 IGHJ4*02IGHV4-59*01 -0/0/-0 IGHD2/OR15-2a*01 -25/0/-7 IGHJ6*02
0011 (TR�)+61 +92 +119
100%
10%
1%
0.1%
0.01%
0.001%
0.0001%TRGV3*02 -0/11/-2 TRGJ1*02TRGV3*01 -4/1/-2 TRGJ1*01TRGV3*01 -4/1/-2 TRGJ1*01TRGV3*01 -4/1/-2 TRGJ1*01TRGV2*01 -2/2/-15 TRGJP2*01
0063 (TR�) 0063 (IgH)+48 +90 +263 +308
100%
10%
1%
0.1%
0.01%
0.001%
0.0001%TRGV10*01 -4/0/-8 TRGJP2*01TRGV2*01 -0/7/-0 TRGJP1*01TRGV10*01 -3/0/-15 TRGJP1*01TRGV10*01 -7/0/-11 TRGJP1*01TRGV2*02 -0/14/-2 TRGJ1*01
+48 +90 +263 +308100%
10%
1%
0.1%
0.01%
0.001%
0.0001%IGHV3-9*01 -7/3/-17 IGHD3-10*01 -6/0/-17 IGHJ6*02IGHV3-11*01 -1/7/-0 IGHD6-13*01 -15/0/-17 IGHJ6*02IGHV3-11*01 -5/0/-9 IGHD3-10*02 -12/2/-7 IGHJ5*02TAAAAGGCTGAGGACACCCGACAGGGTATGGACGTCTGGGCTAAAAGGCTGAGGACACCCGACAGGTATGGACGTCTGGG
0064 (TR�) 0064 (IgH)+47 +615 +711 +837+794+403 +741
100%
10%
1%
0.1%
0.01%
0.001%
0.0001%TRGV3*01 -0/6/-16 TRGJP1*01TRGV2*02 -0/2/-0 TRGJP1*01TRGV8*01 -3/4/-0 TRGJP2*01TRGV10*02 -3/4/-0 TRGJP1*01TRGV8*01 -2/4/-0 TRGJ1*01
+47 +615 +711 +837+794+403 +741100%
10%
1%
0.1%
0.01%
0.001%
0.0001%IGHV6-1*01 -27/6/-3 IGHD4-11*01 -3/3/-4 IGHJ4*02IGHV6-1*01 -27/3/-3 IGHD4-11*01 -3/3/-4 IGHJ4*02IGHV6-1*01 -11/19/-0 IGHD1-26*01 -0/3/-6 IGHJ6*03IGHV6-1*01 -27/3/-3 IGHD4-11*01 -3/3/-4 IGHJ4*02IGHV3-7*01 -0/3/-10 IGHD3-22*01 -13/8/-0 IGHJ4*02
Figure 5.2 – (Haut.) Suivi des patients 0010, 0011 en TR� (gauche), et du patient 0013 en IgH (droite).(Bas.) Suivi des patients 0063 et 0064, simultanément en TR� (gauche) et IgH (droite). Ces courbes ontété obtenues après inspection manuelle des résultats de Vidjil, éventuellement avec regroupement addition-nel [22].
38 5. Vidjil : usages, analyse de données et résultats
Dans tous les cas, la quantification est ici fondamentale, et nécessite d’être étalonnée. À Lille,les étalons témoins sont réalisés par pool d’échantillons de patients malades dont le clone majori-taire est connu, mais qui demanderaient à être mieux calibrés. D’autres laboratoires utilisent desplasmides (séquences artificielles). Le groupe de travail EuroClonality-NGS travaille actuellementsur l’évaluation des biais de séquençage pour la quantification et devrait publier et diffuser de telsétalons (voir section 6.2).
5.4 Estimation de la diversité du répertoire (Prague)
Le laboratoire d’hématologie de Prague (Univerzita Karlova), dans une étude rétrospective sur210 échantillons de 76 patients atteints de leucémie aiguë (LAL), a utilisé Vidjil pour quantifier ladiversité du répertoire [18]. Lors d’un diagnostic, le répertoire est très peu divers, même en dehorsdu clone principal. Même en cas de réussite des traitements, la reconstruction du répertoire prenddu temps, au minimum plusieurs semaines.
En collaboration avec Michaela Kotrova, nous avons ainsi quantifié la diversité par la valeur⇢c/r, le rapport entre le nombre de clones rendus par Vidjil et le nombre de reads analysées. Dansune situation sans erreurs de PCR ou de séquençage, cette valeur vaut entre 1 (chaque read provientd’un clone différent) et quasiment 0 (1/n, un seul clone rassemblant toutes les reads). Les erreurs dePCR ou de séquençage font baisser artificiellement cette valeur, et, dans ce cas, la taille de la fenêtrea aussi une influence. On peut supposer ces erreurs constantes pour un protocole donné avec unséquenceur donné. Notons que ⇢c/r permet de différencier des situations très diverses à même tauxde MRD. Par exemple, le clone majoritaire peut être à 1%, mais un ⇢c/r faible signifiera que les99% restants sont tout de même concentrés sur quelques clones, alors qu’un ⇢c/r élevé, idéalementproche de 1, indiquera qu’un répertoire diversifié s’est reconstruit derrière le clone à 1%.
Le but est de stratifier les patients le mieux possible, afin de leur proposer un traitement adapté àleur situation (voir section 2.2). La valeur ⇢c/r au jour 35 après le diagnostic apparaît ainsi commeun très bon moyen de stratification (Fig. 5.3) [18]. Ces résultats demandent à être confirmés,mais témoignent déjà d’un changement radical de pensée : de telles mesures sur l’ensemble dela population étaient complètement impossibles avec les techniques habituelles. Le Rep-Seq nepermet donc pas seulement de mieux mesurer certaines valeurs connues, mais aussi de proposerde nouvelles métriques. Trouver des métriques encore plus pertinentes pour décrire, de manièreagrégée, la population de lymphocytes est une piste de recherche intéressante (voir section 6.1).
Figure 5.3 – Stratification de patients atteints de LAL en fonction de la diversité au jour 35 après le diag-nostic évaluée par ⇢c/r [18]. Les patients ayant un ⇢c/r supérieur à 0.18 ont un répertoire immunologiquemieux reconstitué et une meilleure évolution de leur maladie (88 ± 5 % de survie à 5 ans sans rechute).
6
Perspectives
Vidjil est un logiciel en constante évolution. Avec Mikaël Salson et Tatiana Rocher, je continuele travail algorithmique. Nous avons toujours des défis théoriques à résoudre qui amélioreraientl’efficacité et la sensibilité de notre programme (section 6.1). Nous désirons aussi répondre demieux en mieux aux besoins de nos utilisateurs. Nous souhaitons faire fructifier les compétences enhématologie et immunologie acquises depuis 4 ans et développer notre communauté d’utilisateurset nos collaborations. Cela passe par la poursuite de nos efforts de développement et de diffusion,en particulier par le travail de Ryan Herbert, Marc Duez et Florian Thonier (section 6.2).
6.1 Algorithmique des recombinaisons V(D)J
Comparaison des méthodes et des logiciels. De nombreuses méthodes et logiciels pourles études Rep-Seq ont été publiés en 2014 et 2015 (voir section 3.2). Pour l’instant, nous noussommes d’abord comparés aux outils d’IMGT, vus comme la référence. Nous comptons réaliserune évaluation plus complète de ces méthodes et logiciels, en essayant de distinguer les principesalgorithmiques et les implémentations, que cela soit sur la qualité des résultats ou sur les tempsd’exécution.
Analyse haut-débit plus complète. Nous souhaitons pouvoir analyser plus finement certainsaspects des recombinaisons. C’est d’abord le cas des CDR3. Si nous ne prétendons pas faire uneanalyse aussi complète que les outils d’IMGT (auquel nous nous lions, voir ci-dessous), quelquesinformations clés (longueur et fonctionnalité) pourraient tout de même être analysées par Vid-jil/C++. Nous souhaitons aussi proposer des statistiques plus détaillées sur le répertoire, et pro-poser de nouvelles mesures de diversité, au delà du ⇢c/r déjà utilisé par Prague (section 5.4). Nousavons déjà implémenté le calcul d’indices de diversité (Shannon, Simpson) utilisés dans d’autreslogiciels de Rep-Seq. Nous cherchons à définir et calculer d’autres métriques globales décrivantla richesse du répertoire immunologique, par exemple concernant des statistiques sur les nucléo-tides insérés ou supprimés ou le taux de mutations hypersomatiques, utile au suivi des leucémieschroniques (LLC).
Certaines de ces informations plus fines peuvent être calculées dans la phase 2, sur chaqueclone. Cependant, nous aimerions aussi pouvoir remonter certaines de ces analyses dans la phase 1,pour avoir l’information au niveau de toutes les reads – et pas seulement pour les 100 ou 1000premiers clones analysés. En particulier, les nouvelles mesures de diversité telles que ⇢c/r devraientpouvoir s’appuyer sur une analyse aussi complète que possible des « petits » clones. Notre défi estdonc d’étendre les analyses sur chaque read, tout en conservant l’efficacité de Vidjil, c’est-à-direen maintenant un traitement globalement linéaire sur chaque séquence.
Analyse optimisée de données multi-locus. Mikaël Salson et moi travaillons sur deux pointsliés au cœur de l’heuristique :
40 6. Perspectives
— Analyse simultanée de plusieurs locus. Le traitement de p locus se fait en temps O(pkn),en itérant l’extraction de fenêtre pour chaque locus. Cependant, dans les O(kn) opérationsde l’heuristique, la première étape pour obtenir l’affection des k-mots est un goulot d’étran-glement car elle demande O(kn) opérations et surtout O(n) accès mémoire a priori noncontigus (Fig. 4.1). Nous sommes en train de transformer cette étape pour la rendre entemps O(n) pour tous les locus par l’utilisation d’un automate dérivé de l’automate d’Aho-Corasick [40]. À cette occasion, nous souhaitons pouvoir intégrer des k-mots avec différentesvaleurs de k dans le même index, pour reconnaître au mieux les zones V et J, ce qui permettraune meilleure sensibilité sur certains locus.
— Optimisation semi-automatique des paramètres de graines. Les k-mots sont extraits suivantdes graines espacées [111]. Nous avions fait « manuellement » le choix de k et des graines pourles locus TR� et IgH dans notre première étude [12]. Maintenant que nous traitons de nom-breuses recombinaisons (14 locus ou pseudo-locus dans la version 2016.02), nous souhaitonsmettre en place une méthode semi-automatique pour optimiser ces paramètres, en prenanten compte la distance entre gènes de référence et éventuellement en spécifiant certains k-motsinterdits car trop ambigus.
Indexation, compression et mesure de populations avec des recombinaisons V(D)J.Vidjil se contente d’un traitement globalement linéaire sur chaque read. Peut-on aller encore plusloin et considérer directement l’ensemble des reads, et faire des requêtes en temps presque constantsur une structure qui rassemblerait toutes les reads ?
Tatiana Rocher, dans sa thèse débutée fin 2014 que je co-encadre avec Mikaël Salson et Jean-Stéphane Varré, essaie de proposer une structure d’indexation spécifique aux recombinaisons V(D)J.Serait-il possible d’indexer les reads, ou au moins les séquences consensus des clones, pour per-mettre de répondre rapidement à des requêtes statistiques (comme les gènes V, D, J utilisés, ou lesmétriques globales telles que ⇢c/r) ou de comparaisons (entre plusieurs échantillons d’un même pa-tient voire entre patients différents) ? Une telle indexation permettrait de répondre à des questionshématologiques et immunologiques, en particulier sur la comparaison et l’évolution de répertoires.
Tatiana Rocher s’inspire de structures et méthodes existantes : LZ-77 et LZ-78 [44, 45], arbreset tables de suffixes, transformée de Burrows-Wheeler [109]. Ses travaux intéressent aussi le consor-tium EuroClonality-NGS (voir ci-dessous) qui souhaite disposer d’une base de données des clones :comment stocker l’ensemble, ou au moins, les 1000 clones les plus abondants de tous les patientstraités dans un grand nombre de centres, et pouvoir faire des requêtes statistiques ou comparatives ?
Plus généralement, Mikaël Salson, dans son projet de recherche, s’intéresse au lien entre com-pression et indexation. Comment compresser au mieux des données de séquençage tout en lesindexant ? Mikaël est en contact avec les équipes Genome-Scale algorithmics (université de Hel-sinki) et Reinert lab (université libre de Berlin). Il souhaite visiter début 2017 ces équipes pourcollaborer sur la détection de recombinaisons inconnues et sur celle de familles de clones. À terme,nous souhaiterions pouvoir retracer l’évolution des populations lymphocytaires au cours du temps,et proposer des algorithmes comme des métriques globales permettant d’estimer cette évolution.
6.2 Développement, diffusion et transfert
Développement collaboratif de Vidjil et financements. Depuis 2012, l’Université Lille 1,la Région Nord-Pas-de-Calais et le SIRIC OncoLille contribuent au développement de Vidjil. Dé-sormais, Vidjil est aussi soutenu par une ADT Inria pour 2015 – 2017. Mikaël Salson, TatianaRocher et moi continuons à développer les aspects algorithmiques, et contribuons partiellementaux autres composants. En octobre 2015, Ryan Herbert a été recruté sur le soutien de l’ADT pourtravailler à plein temps sur l’application web et le serveur, avec les priorités suivantes :
6. Perspectives 41
— Amélioration de la pratique médicale. Répondre aux attentes d’une utilisation clinique (rap-ports professionnels, traçabilité des actions, statistiques), évoluer vers une standardisation.
— Plateforme. Positionner Vidjil comme le centre d’un écosystème de logiciels et de méthodesd’analyse de clonalité, en particulier en intégrant des logiciels de pré- ou post- processinget en proposant aussi le choix d’autres algorithmes que Vidjil/C++. Cette tâche est en lienavec l’évaluation des différentes solutions Rep-Seq.
— Diffusion. Faciliter la diffusion de Vidjil en améliorant l’installation, l’administration et l’uti-lisation en environnement de production.
Deux de nos partenaires contribuent eux aussi au développement de Vidjil :
— Depuis mai 2015, le laboratoire d’hématologie de l’hôpital Necker, à Paris, dirigé par ElizabethMacintyre, a recruté un bioinformaticien, Florian Thonier. Son projet est d’identifier statisti-quement quelques paramètres montrant la normalité d’un CDR3, en utilisant des échantillonsde patients sans maladie hématologique connue, ainsi que d’étudier des populations de lym-phocytes à divers endroits du thymus. Florian Thonier contribue aussi à l’application web deVidjil.
— Après avoir passé deux ans et demi au sein de Bonsai, Marc Duez travaille depuis novembre2015 à l’Université de Bristol (School of Social and Community Medicine et MRC Integra-tive Epidemiology Unit, John Moppett). Son travail est de mettre en place un pipeline àl’échelle du Royaume-Uni pour le diagnostic et le suivi des leucémies aiguës. En lien avecdes laboratoires d’hématologie anglais, il travaille en particulier sur la qualité des reads, leurregroupement, de nouvelles fonctionnalités de visualisation ainsi que sur le serveur et la basede données. Depuis Bristol, Marc continue ainsi à contribuer à Vidjil. Il fait aussi le lien avecRyan Herbert, nouvel ingénieur dans l’équipe.
Diffusion et fédération d’une communauté d’utilisateurs de Vidjil et du Rep-Seq.Nous accompagnons déjà la diffusion de Vidjil, notamment par un support aux utilisateurs. Depuisun an, nous avons ainsi échangé avec une quinzaine de nos 40 utilisateurs, parfois pour du simplesupport, mais souvent pour retravailler certaines analyses de données. Certains utilisateurs peuventdevenir de véritables collaborateurs avec lesquels nous co-publions (comme pour le laboratoirede Prague, voir section 5.4). Nous avons pour l’instant surtout travaillé avec des hématologues(diagnostic et suivi de leucémies) et nous cherchons désormais des collaborations en immunologie(étude de la réponse immunitaire mais aussi développement de vaccins).
Pour mieux fédérer cette communauté naissante, nous organisons le 14-15 mars 2016 une ren-contre réunissant utilisateurs et développeurs de Vidjil (www.vidjil.org/workshop-2016). Cesera un lieu pour échanger sur les techniques et les résultats, bioinformatiques comme immuno-logiques. Nous étudions aussi la possibilité d’organiser en 2016 ou 2017 une rencontre plus largeentre bioinformaticiens et hématologistes ou immunologues travaillant sur le Rep-Seq lors d’unévénement satellite à une grande conférence de bioinformatique.
EuroClonality-NGS. Le consortium ESLHO (European Scientific foundation for LaboratoryHemato Oncology), et plus particulièrement ses divisions EuroClonality (www.euroclonality.org)et EuroMRD (www.euromrd.org), standardise au niveau européen les diagnostics de clonalité,notamment pour les leucémies. Ses protocoles sont suivis par l’ensemble des hôpitaux européensimpliqués dans le suivi des leucémies, et c’est ce consortium qui a été à l’origine des amorcesBIOMED-2 [77] (voir section 2.3). Tous ces hôpitaux (dont celui de Lille) participent régulièrementà des contrôles de qualité en aveugle.
Nous allons depuis 2013 aux conférences publiques du consortium. Depuis 2014, nous avonsété invités à faire partie du groupe de travail « EuroClonality-NGS », qui a pour but de définir
www.vidjil.org/workshop-2016
www.euroclonality.org
www.euromrd.org
42 6. Perspectives
les nouveaux protocoles ayant recours au séquençage à haut débit. Ces protocoles seront mis enœuvre dans les hôpitaux d’ici quelques années. Ce groupe de travail, débuté en 2013, est composéd’hématologues. Il comprend aussi une équipe de bioinformatique, dirigée par Nikos Darzentas, enRépublique Tchèque, qui développe le logiciel officiel du consortium, ARReST/Interrogate [183].L’équipe IMGT y est aussi présente.
Nous avons eu 4 rencontres depuis 2014 de ce groupe de travail, où nous présentons régu-lièrement nos avancées sur Vidjil. Si l’utilisation officielle de Vidjil n’est pas à l’ordre du jour duconsortium, ce groupe de travail permet des échanges fructueux pour tous les partenaires. Certainesdes idées algorithmiques ou de visualisations proposées dans Vidjil ont ainsi été reprises dans lelogiciel du consortium. Des échanges de données seraient aussi possibles, les focus des programmesn’étant pas les mêmes. Enfin, participer au consortium nous permet d’être au contact de nombreuxhématologues et de mieux comprendre leurs besoins. Une partie de nos utilisateurs provient ainside ce consortium.
Transfert et financement. Dès à présent, le diagnostic de patients atteints de leucémie aigüepeut être facilité par le NGS et Vidjil (voir section 5.2). À moyen et long terme, le suivi devraitêtre possible, et même amélioré par des nouvelles mesures rendues possibles par la connaissancedétaillée du répertoire. Notre premier objectif de transfert est ainsi que, à la fin de l’ADT Inriaen 2017, 1 000 patients soient suivis de manière régulière. Fin 2015, si environ 1 300 jobs ont étésoumis sur le serveur, il n’y a que le laboratoire de Lille qui a franchi le pas en systématisant cesanalyses, en routine (129 patients en 2015, voir section 5.2).
Le transfert de Vidjil est donc d’abord clinique. Faut-il envisager un autre transfert, avec unevalorisation plus économique de ce travail ?
— Nous tenons à ce que Vidjil reste open-source. Un modèle fermé aujourd’hui ralentirait notrecroissance. Nous avons pu gagner la confiance de nos utilisateurs, qui sont en grande majoritédes laboratoires publics. Un des facteurs d’adhésion de nos utilisateurs est justement cetteouverture et cette liberté académique (plusieurs entreprises proposent des services Rep-Seqgroupés, biologie et informatique, sur lesquels les utilisateurs ont peu de prise).
— De l’autre côté, nous avons aussi quelques utilisateurs privés, et certains laboratoires seraientprêts à contribuer au développement de Vidjil. Nous serions intéressés par trouver un moyende valoriser ces développements, et aussi de réussir à financer du support aux utilisateurs,que nous faisons actuellement mais qui, sur le long terme, devrait être transféré à une autrestructure.
Ces deux points ne sont pas si contradictoires. Une possibilité serait de créer une start-upfournissant du service (hébergement, analyse, support) autour de Vidjil qui resterait open-source,et une autre serait de proposer un appui et une facturation via une plateforme existante, comme laplateforme Bilille (M. Pupin puis G. Marot). Enfin, les derniers recrutements de Florian Thonier àNecker et Marc Duez à Bristol montrent une troisième voie : nous pouvons chercher à faire financerle développement de Vidjil par nos partenaires et collaborateurs. Dans tous les cas, nous devonsréfléchir à un modèle de propriété intellectuelle, peut-être via un accord de consortium.
Deuxième partie
Analyser les partitions, Algomus
Est-ce qu’un ordinateur peut comprendre la musique ?
La musique est complexe, faite de mélodies, de rythmes et d’harmonies structurées dans letemps. La partition musicale formalise un ensemble de sons et est l’un des moyens principaux pourtransmettre, échanger et préserver les oeuvres musicales en Occident. Analyser des partitions, c’estapporter un éclairage sur leur construction (chapitre 7). Aujourd’hui, les humanités numériqueslient les méthodes informatiques au patrimoine culturel et à la recherche en sciences humaineset sociales. Comment les ordinateurs peuvent aider à modéliser les partitions, et idéalement àcomprendre la musique ?
J’ai été initié à l’analyse musicale par Maxime Joos, professeur au conservatoire de Lille. AvecRichard Groult et Florence Levé, du laboratoire MIS (Université de Picardie Jules Verne, Amiens),j’ai eu une première publication en 2011 concernant l’analyse du rythme [2]. Cette collaborations’est accentuée en 2012 avec le début de notre travail sur les fugues [3, 5]. Désormais rejoints parEmmanuel Leguy, Nicolas Guiomard-Kagan, Pierre Allegraud et Sławek Staworko, nous formonsl’équipe émergente Algomus, que je dirige.
Dans le champ des humanités numériques, le projet d’Algomus est de mener des recherchesen analyse musicale computationelle, c’est-à-dire d’inventer des méthodes numériques d’analysede partitions, en combinant expertise musicologique et méthodes d’algorithmique du texte, defouille de données et d’apprentissage. L’analyse repose sur un ensemble d’éléments locaux d’analyse,dont les motifs, les accords et les enchaînements d’accords ou la texture. L’analyse combine ceséléments pour comprendre la structure haut-niveau de la musique (chapitre 8). Enfin, Algomustravaille aussi sur la modélisation et la visualisation de partitions analysées, que ce soit à destinationdes musiciens, des apprenants, des mélomanes ou du grand public (chapitre 9), et réalise desprojets combinant sciences et arts ainsi que des actions de médiation autour de la musique et del’informatique (qui seront évoqués à la fin du document, au chapitre 11).
Cette partie, plus prospective, présente quelques méthodes existantes et les premiers résultatsobtenus par l’équipe. Pour les prochaines années, les objectifs d’Algomus sont à la fois méthodolo-giques, fondamentaux, en recherche en informatique musicale, et objectifs sociétaux, appliqués etculturels (chapitre 10).
Algomus est soutenu par Sciences et Cultures du Visuel (iCAVS/IrDIVE) et Pictanovo, lorsde projets que j’ai portés, ainsi que par un projet de la région Picardie porté par F. Levé.
44
7
Analyse musicale
Analyse musicale computationnelle
Que comprenons-nous dans une partition musicale ? Qu’elle soit formalisée ou inconsciente,l’analyse musicale est une activité importante du mélomane, de l’auditeur, de l’interprète, duthéoricien comme du compositeur (section 7.1). L’analyse concerne à la fois des éléments locauxet globaux, dans un double mouvement d’analyse et de synthèse (section 7.2).
Figure 7.1 – Motifs dans le thème de la Cane de Jeanne, de Georges Brassens. Le découpage du bassuit le texte, en deux propositions. Le découpage du haut est une lecture possible des motifs de ce thème.L’ensemble du thème peut se modéliser comme « abac », la partie « ab » étant un antécédent, une phraseouverte, et sa reprise « ac » un conséquent, une phrase fermée se terminant par le motif « c » qui joue icile rôle conclusif d’une cadence. Le motif « b » peut être vu comme une extension du début du motif « a ».Les notes « z », bien qu’elles se rattachent au motif « b » qui les précède, se comprennent aussi commeune ligne mélodique se dirigeant vers le retour du motif « a ».
Du côté informatique, l’analyse musicale computationnelle (CMA) fait partie de la fouille dedonnées musicales (music information retrieval, MIR), un domaine établi depuis une vingtained’années. Plusieurs équipes se focalisent ainsi sur l’analyse de partitions, tentant d’expliquer, com-menter et générer des données musicales symboliques (section 7.3).
L’équipe émergente Algomus est une collaboration entre les laboratoires CRIStAL (UMR 9189CNRS, Université de Lille) et MIS (Université de Picardie Jules Verne, Amiens). Je dirige cetteéquipe naissante qui a pour but de parvenir à des méthodes informatiques et des visualisationsfacilitant la compréhension globale d’une partition (section 7.4).
Une partie de ce chapitre provient d’un article de revue écrit avec Marc Rigaudière pour Tech-niques et Sciences Informatique [11]. Le projet d’Algomus (section 7.4) est une réflexion communeà toute l’équipe, réflexion qui sera complétée par la présentation de nos objectifs au chapitre 10.
46 7. Analyse musicale, analyse musicale computationnelle
7.1 Pourquoi analyser des partitions musicales ?
La partition musicale, formalisation de la musique. La musique est tout d’abord unetradition orale, interprétée, transmise et écoutée. Cette tradition se matérialise aujourd’hui parl’échange de fichiers son et leur étude. La musique repose aussi sur une formalisation des sonssous la forme de notes, chacune ayant une hauteur et une durée. La notation musicale estune tradition écrite, retranscrivant sous forme de symboles un ensemble de notes et d’indicationsd’interprétation (Fig. 0.1). Elle permet des constructions complexes de mélodies, d’harmonies et destructures. Durant des siècles, la partition a été le moyen principal pour transmettre, échanger etpréserver des oeuvres musicales en Occident. Des théoriciens ont formalisé et étudié la musique. Lanotation musicale, parfois actualisée, est aussi pertinente pour comprendre, analyser et enseignerla musique d’aujourd’hui.
Qui fait de l’analyse musicale ? Analyser, c’est détailler, expliquer, comparer, comprendre.Chacun d’entre nous, musicien ou non, fait de l’analyse plus ou moins inconsciemment à l’écouted’une musique. Lorsqu’on écoute une chanson ou une œuvre classique, l’analyse peut tout d’abordêtre locale : « le chanteur chante haut », « c’est plus rapide à cet instant », « il y a un climaxici ». L’analyse peut aussi être plus globale, faisant référence à la structure de la pièce : « le refrainrevient », « c’est une transition instrumentale ». L’analyse peut enfin être comparative, s’appuyantsur la connaissance du répertoire d’un artiste, d’un compositeur, d’un style, d’une époque. Pour lemélomane non musicien, analyser de la musique se fait d’abord en suivant son intuition, en utilisantsa culture musicale, même sans utiliser des notions théoriques.
Pour le théoricien de la musique, l’analyse se fait en formalisant, à partir de l’écoute ou de lalecture de la partition, un ensemble d’informations partielles, locales, que nous nommons élémentsd’analyse dans [11] : tonalité et harmonie, mélodies et thèmes, rythme et métrique, dynamique, ins-trumentation, texture... À plus grande échelle, l’analyse rassemble ces éléments dans une structureglobale, souvent appelée forme. Analyser une partition, c’est apporter un éclairage sur ces pointsde vue locaux et globaux et renouveler son écoute sur une pièce de musique [54, 56, 121]. L’analyseest une activité essentielle de l’interprète (Fig. 7.2), de l’auditeur tout comme du théoricien de lamusique. Celui qui joue, entend ou étudie une pièce le fait avec sa propre compréhension de lamusique qu’on peut chercher à formaliser [160].
Figure 7.2 – Partition de l’Oiseau de Feu de Stravinksy (1910, transcription pour piano du compositeur)annotée par la pianiste Lydia Jardon. L’interprétation demande des choix techniques (doigtés, répartitiondes mains) qui s’appuient sur une compréhension approfondie de l’œuvre, en particulier sur une analysedes plans sonores de la partition orchestrale.
7. Analyse musicale, analyse musicale computationnelle 47
L’analyse peut même précéder l’interprétation. Glenn Gould écrivait ainsi [41] :
« Deux ou trois semaines avant de jouer cette sonate pour la première fois, je commen-çai à étudier la partition, et à une semaine du concert, je me mis au piano (cela semblesuicidaire, mais c’est pourtant ainsi que j’ai toujours procédé). (...) Ma technique estde passer le plus de temps possible loin de mon piano, ce qui pose certaines difficultés :on a souvent envie de savoir comment cela sonne. Mais un certain idéal analytique(. . . ), un certain achèvement analytique, quoiqu’il en soit, est théoriquement possibletant que vous n’êtes pas au piano. »
Enfin, l’analyse a un lien particulier avec la composition. Est-ce que l’analyse est censée re-trouver la manière dont le compositeur a construit la pièce ? D’un côté, l’analyse est souventanachronique. Les théories musicales des formes musicales (comme la fugue ou la forme sonate)ont été principalement conçues au cours du XIXe siècle, soit un ou deux siècles après l’émergencede la forme elle-même. L’analyse comparative d’une pièce dans l’œuvre d’un compositeur ou deson époque n’est souvent possible qu’a posteriori. De l’autre, les compositeurs sont influencés parles cadres formels de l’enseignement de la composition (et maintenant de l’analyse) et, plus géné-ralement, par les pratiques de leur temps. Si certains compositeurs préfèrent ne pas détailler leursméthodes, d’autres, comme Messiaen dans sa Technique de mon langage musical [32], se livrent àune auto-analyse de leurs œuvres. Mais, même réalisée par le compositeur, l’analyse n’est qu’unpoint de vue sur une partition aboutie, et ne reflète pas entièrement le processus compositionnel.
Analyse et sémiologie. Plus généralement, peut-on donner du sens à une partition qui semblen’être qu’un ensemble de symboles utilisés par le compositeur pour transmettre sa musique ? C’esttout l’enjeu de la tripartition de la sémiologie musicale proposée par Jean-Jacques Nattiez [57, 66]à la suite des travaux de Jean Molino :
« Dans la théorie de Molino (...) :a) une forme symbolique n’est pas l’intermédiaire d’un processus de « communica-
tion » qui transmettrait à une audience des significations produites intentionnel-lement par un auteur,
b) mais le résultat d’un processus complexe de création (le processus poïétique) quiconcerne tout autant la forme que le contenu de l’œuvre,
c) et le point de départ d’un processus complexe de perception (processus esthésique)qui reconstruit le message ;
d) les processus poïétiques et esthésiques, enfin, ne coïncident pas nécessairement. »
Entre ces processus de composition (« processus poïétique ») et de réception (« processus es-thésique »), la partition (« forme symbolique ») est alors un « niveau neutre », qu’il est possibled’étudier de manière autonome (« analyse immanente ou matérielle »). Certaines analyses musi-cales dépassent ce niveau neutre (« analyses poïétiques » ou « analyses esthésiques »), allant mêmejusqu’à l’« analyse de la communication musicale » qui concerne l’ensemble de la communication,du compositeur au récepteur [66].
L’analyse musicale, pratique et discipline. L’analyse comme pratique existe depuis long-temps. Tous les traités de la musique, depuis ceux de Boèce de ou Rameau, ont une composanteanalytique, expliquant certains aspects de la musique. Au XIXe siècle, l’institutionnalisation del’enseignement de la musique et de la composition (en particulier au conservatoire de Paris, fondéen 1795) donne lieu à la rédaction de traités détaillant précisément certaines techniques d’écri-ture. Ainsi, des traités sur la forme sonate [25, 27] ou la fugue [28] sont avant tout pédagogiques,normatifs, mais contiennent aussi une part d’analyse.
L’analyse comme discipline musicologique autonome date elle du milieu du XXe siècle. La classed’Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris, initialement classe d’harmonie, devient en 1947 une
48 7. Analyse musicale, analyse musicale computationnelle
classe d’analyse où O. Messiaen décrypte les partitions du répertoire. Les traités d’analyse peuventdésormais être détachés de contraintes de composition, comme, pour la forme sonate, les ouvragesde Rosen [46] ou d’Hepokoski et Darcy [98]. Aujourd’hui, l’analyse musicale est enseignée dans lesparcours de formation musicale initiale et supérieure. C’est une discipline universitaire établie, avecses journaux (Music Analysis, Analyse Musicale), ses sociétés savantes (Society for Music Analysis,Society for Music Theory, Société Française d’Analyse Musicale) et ses congrès (EuroMAC).
7.2 Analyse et synthèse
Tout comme celle du mélomane, l’analyse pratiquée par le théoricien de la musique combinedes points de vue locaux et globaux. Dans la revue que nous avons publiée dans Techniques etSciences Informatique, Marc Rigaudière écrit [11] :
« On peut analyser une œuvre pour dégager des grandes lignes esthétiques, pour ca-ractériser un style, pour y rechercher une signification (herméneutique), pour observerdes éléments systémiques (fonctionnement tonal par exemple), pour y repérer des prin-cipes de composition, pour alimenter l’histoire des formes, pour tester la validité d’uneméthode, etc. Dans toutes les manifestations de l’analyse, pourtant, un concept est cen-tral : celui de forme musicale. Il n’est guère d’analyse qui puisse l’évacuer, dès lorsqu’on le prend au sens large, la forme étant alors comprise comme une façon uniqued’assembler des éléments constitutifs, aboutissant à une œuvre unique. »
Si de nombreuses analyses concernent ou s’appuient sur la forme musicale, le débat même surla nature des formes musicales est toujours d’actualité. L’ouvrage « Musical form, Forms, Formen-lehre » édité en 2009 par Pieter Bergé [122] fait ainsi dialoguer trois approches contemporainesde la forme musicale : la « théorie des fonctions formelles » de W. Caplin (décomposant la formeen sections et expliquant leur rôles propres et relatifs), la « forme dialogique » de J. Hepokoski(considérant la forme dans son contexte de composition historique), et l’« analyse multivalente »de J. Webster (décrivant la forme selon plusieurs éléments d’analyse).
Tous ces points de vues, complémentaires ou parfois opposés, ont en commun de s’appuyer surdes éléments locaux d’analyse. Comme l’indique Marc Rigaudière [11] :
« Quelle que soit la façon de le formaliser, les études modernes de la forme musicaleenregistrent toutes l’idée que la forme résulte d’une interaction entre différents éléments.(...) Il n’y a pas une somme de lectures linéaires et stratifiées dont chacune seraitlimitée à un seul élément, mais une lecture synthétique (souvent guidée par l’écoute oul’exécution de la pièce) susceptible d’une part de se focaliser tour à tour sur l’un oul’autre aspect du texte musical et, d’autre part, de rassembler le fruit de cette lecturediscontinue en une image globale. C’est bien un point essentiel de l’analyse musicale : cequ’on nomme analyse est en fait un double mouvement d’analyse suivi d’une synthèse. »
Cette double approche d’analyse et de synthèse se retrouvera au cœur de nos préoccupations :si la plupart des méthodologies d’analyse informatique se concentrent sur des éléments locaux,Algomus souhaite proposer des analyses haut-niveau, sémantiques, de la structuration d’une pièce(voir ci-dessous, section 7.4, puis section 8.3).
7.3 L’analyse musicale computationnelle
Quel peut être l’apport des méthodes numériques à la musique, et plus particulièrement àl’analyse musicale ?
7. Analyse musicale, analyse musicale computationnelle 49
Sciences, musique et calcul. La science et la musique ont toujours eu des liens forts, toutd’abord pour les aspects d’acoustique et de fréquences des notes. Le Quadrivium fut défini parBoèce au VIe siècle et regroupe les arts libéraux des « sciences des nombres », à savoir l’arithmé-tique, la musique, la géométrie et l’astronomie. L’harmonie des sphères, liant proportions célesteset musique, est une des théorie pythagoriciennes étudiée par Boèce [23]. Mille ans plus tard, notam-ment à partir des ouvrages de Zarlino [24], les questions de tempérament, c’est-à-dire de divisionfréquentielle de la gamme, vont être un sujet majeur de débat musical et scientifique du XVIeau XIXe siècle.
À côté des préoccupations acoustiques, le côté plus symbolique et calculatoire de la musiquea aussi une longue histoire. Des thématiques de génération musicale ont été développées dans desjeux musicaux aléatoires (avec plusieurs partitions attribuées à Mozart à la fin du XVIIIe siècle).En 1843, Ada Lovelace, percevant l’universalité de la machine proposée par Babbage, imaginaitdéjà que la musique puisse se formaliser au point que l’ordinateur devienne compositeur [26] :
« It might act upon other things besides number, were objects found whose mutual fun-damental relations could be expressed by those of the abstract science of operations, andwhich should be also susceptible of adaptations to the action of the operating notationand mechanism of the engine... Supposing, for instance, that the fundamental relationsof pitched sounds in the science of harmony and of musical composition were susceptibleof such expression and adaptations, the engine might compose elaborate and scientificpieces of music of any degree of complexity or extent. »
Aujourd’hui, il y a de nombreuses interactions entre science, musique, et nouvelles technologies.À Paris, l’Ircam (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique), créé par Pierre Bou-lez en 1969, est un lieu unique d’interaction entre musiciens et chercheurs, lieu d’expérimentationet de création, notamment pour les musiques post-sérielles, spectrales et contemporaines.
Recherche d’informations musicales (MIR). Comment réaliser la prédiction d’Ada Lovelaceen modélisant numériquement « the fundamental relations of pitched sounds in the science ofharmony and of musical composition » ? Aujourd’hui, la communauté « recherche d’informationsmusicales » (music information retrieval, MIR) traite de nombreuses questions concernant à la foisdes données audios, des données symboliques (partitions), mais aussi des données d’image ainsi quedes métadonnées. Ce champ s’est développé les dernières années, en partie en lien avec des intérêtscommerciaux, comme par exemple, ceux liés aux questions de recherche ou de recommandation parle contenu. La communauté publie en particulier dans la conférence majeure du domaine, ISMIR(à l’origine « International Symposium for Music Information Retrieval »), créée en 2000, ainsi quedans les journaux Computer Music Journal (depuis 1977) et Journal of New Music Research (1972).
Recherche audio, recherche symbolique. Dans les groupes de recherche en MIR, le traite-ment du signal est dominant. ISMIR réunit chaque année environ 300 participants, dont environun quart travaillent sur des données symboliques de partitions. Ces études symboliques sont indis-pensables pour la communauté, car les approches qui ne considèrent que le traitement du signal nepermettent pas de rentrer en détail dans la construction des pièces musicales. J. Stephen Downie,un des leaders du domaine MIR, indiquait ainsi en 2007 [113] :
« Many MIR researchers come from a signal processing research discipline. (...) Dealingwith music in its audio form requires less music-specific knowledge than dealing with itssymbolic forms (i.e., one needs to be able to read and understand music to work withsymbolic music representations in a non-trivial manner.) »
Traiter des données symboliques – principalement des hauteurs et des durées de notes – demandeainsi une expertise musicologique différente des compétences utilisées en traitement du signal.
50 7. Analyse musicale, analyse musicale computationnelle
Encodages de la partition. La partition est elle-même une représentation codée de l’œuvre mu-sicale impliquant certaines conventions. L’édition musicale est loin d’être uniforme, les conventionstypographiques variant selon les époques. Il existe plusieurs formats informatiques pour encoderces partitions, formats n’ayant pas tous le même but ni la même précision.
Les fichiers MIDI, initialement destinés à la communication entre synthétiseurs ou autres ins-truments électroniques, représentent la hauteur (mesurée en demi-tons) et la durée des notes. Ilspeuvent indiquer les différentes voix sur différents canaux. De plus, certains fichiers sont correc-tement quantifiés, c’est-à-dire avec des durées qui peuvent être facilement ramenées à des valeursentières ou rationnelles. D’autres éléments des partitions (expression, dynamique...) peuvent aussiêtre représentés.
Les fichiers **kern, MusicXML ou MEI sont eux plus proches de la partition (Fig. 7.3). Ilsdétaillent précisément les hauteurs diatoniques. La cinquième note de la figure 7.3, avec une hauteurMIDI de 68, est ainsi un La [ (La bémol), qui est différente d’un Sol ] (Sol dièse) qui a pourtant lamême hauteur MIDI. Ces deux notes correspondent au même son, mais, dans un contexte tonal,elles ont des fonctions différentes, de la même manière que, en français, le « a » et le « à » seprononcent similairement mais ne sont pas interchangeables.
De plus, les fichiers **kern, MusicXML ou MEI spécifient les durées suivant la notation musicaletraditionnelle et permettent aussi de coder d’autres éléments de notation. Le format **kern [74],destiné à l’analyse musicologique, permet de plus d’encoder dans certains canaux des résultatsd’analyse. Le format MusicXML a lui été conçu comme format d’échange entre éditeurs de parti-tions. Il permet de décrire fidèlement une représentation visuelle de la partition, y compris certainschoix typographiques. Plus récent, le format MEI, produit par le groupe « Music Encoding Ini-tiave », vise à permettre l’échange de représentations musicales, indépendamment de la typographie.
Buts de l’analyse musicale computationnelle. Un ordinateur est-il capable de comprendreune partition comme un théoricien de la musique ? Pour cela, ce que le théoricien lit dans la par-tition doit être formalisé. Certaines notions s’y prêtent facilement, au moins pour les cas simples :une phrase a généralement un début et une fin, une section peut s’inscrire clairement dans une to-nalité, et l’œuvre est généralement structurée par des marqueurs formels comme des cadences (voirsection 8.2.3). D’autres notions sont par nature plus difficiles à formaliser (tension, texture, struc-ture...). Toute approche algorithmique doit donc traduire des concepts subjectifs en modélisationsprécises. À la suite de plusieurs travaux comme [90, 126, 130, 147], nous avons identifié deux grandsobjectifs des recherches de l’analyse musicale computationnelle [11] :
— produire des résultats musicologiques de manière automatisée ou semi-automatisée, éventuel-lement en bénéficiant de gains en temps de calcul ou en résolution (musicologie systématique) ;
— mener une réflexion sur nos disciplines, en questionnant, du point de vue du musicologue, laformalisation du procédé analytique, et, du point de vue de l’informaticien, la pertinence desmodélisations et des algorithmes.
Le premier point, le plus technique, cherche à affiner les résultats de l’analyse, en essayantd’analyser des partitions comportant de vrais défis musicologiques. Le second point, sur la démarchede l’analyse, est tout aussi important. Célestin Deliège confiait [91, p. 21] :
« L’analyse écrite se justifie principalement en fonction de l’explication d’une méthodeou d’une démonstration d’un phénomène spécifique. (...) Sauf dans le cas d’une œuvrenouvelle, quand je lis une analyse qui n’a d’autre but qu’elle-même, je bâille d’ennui. »
Ces propos s’appliquent aussi à l’analyse musicale par ordinateur : l’intérêt de ces recherchesréside autant dans les aspects méthodologiques que dans les résultats produits.
7. Analyse musicale, analyse musicale computationnelle 51
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interval p∆
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2
14
2
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MIDI
2, 2880, Note_on_c, 60, 642, 2910, Note_off_c, 60, 642, 2910, Note_on_c, 59, 642, 2940, Note_off_c, 59, 642, 2940, Note_on_c, 60, 642, 3000, Note_off_c, 60, 642, 3000, Note_on_c, 55, 642, 3060, Note_off_c, 55, 642, 3060, Note_on_c, 56, 642, 3120, Note_off_c, 56, 64
...
3, 0, Note_on_c, 72, 643, 30, Note_off_c, 72, 643, 30, Note_on_c, 71, 643, 60, Note_off_c, 71, 643, 60, Note_on_c, 72, 643, 120, Note_off_c, 72, 643, 120, Note_on_c, 67, 643, 180, Note_off_c, 67, 643, 180, Note_on_c, 68, 643, 240, Note_off_c, 68, 64
...
4, 960, Note_on_c, 79, 644, 990, Note_off_c, 79, 644, 990, Note_on_c, 78, 644, 1020, Note_off_c, 78, 644, 1020, Note_on_c, 79, 644, 1080, Note_off_c, 79, 644, 1080, Note_on_c, 72, 644, 1140, Note_off_c, 72, 644, 1140, Note_on_c, 75, 644, 1200, Note_off_c, 75, 64
**kern
*clefF4 *clefG2 *clefG2*k[b-e-a-] *k[b-e-a-]
*k[b-e-a-]*M4/4 *M4/4 *M4/4*c: *c: *c:*MM72 *MM72 *MM72=1 =1 =11r 8r 1r. 16cc .. 16bn .. 8cc .. 8g .. 8a- .. 16cc .. 16b .. 8cc .. 8dd .=2 =2 =21r 8g 1r. 16cc .. 16bn .. 8cc .. 8dd .. 16f .. 16g .. 4a- .. 16g .. 16f .=3 =3 =31r 16e- 8r. 16cc .. 16bn 16gg. 16an 16ff#. 16g 8gg. 16fn .. 16e- 8cc. 16d .. 8c 8ee-. 8ee- 16gg
MEI
<scoreDef><staffGrp><staffDef n="1" lines="5" meter.unit="4"
clef.shape="G" clef.line="2"key.sig="3f" meter.count="4" />
<staffDef n="2" lines="5" meter.unit="4"clef.shape="G" clef.line="2"key.sig="3f" meter.count="4" />
<staffDef n="3" lines="5" meter.unit="4"clef.shape="F" clef.line="4"key.sig="3f" meter.count="4" />
</staffGrp></scoreDef><measure n="1">
<staff n="1"><layer n="1">
<rest dur="1" /></layer>
</staff><staff n="2">
<layer n="1"><rest dur="8" /><note dur="16" oct="5" pname="c" /><note dur="16" oct="4" pname="b">
<accid accid="n" /></note><note dur="8" oct="5" pname="c" /><note dur="8" oct="4" pname="g" /><note dur="8" oct="4" pname="a" />...
</layer></staff><staff n="3">
<layer n="1"><rest dur="1" />
</layer></staff>
</measure>
Figure 7.3 – Encodages informatiques de la partition. (Haut.) Une séquence monophonique de notes (débutde la fugue en Do mineur BWV 847 de Jean-Sébastien Bach, voir Fig. 8.11). Une note a deux dimensions :hauteur et durée. Elle peut être décrite par un triplet (p, o, `), où p est la hauteur (pitch) de la note, o soninstant de début (onset), et ` sa durée. Ici, les onsets et durées sont comptés en double-croches, et doncune croche vaut 2. Les hauteurs sont comptées suivant le standard MIDI (Do au milieu du clavier = 60).
(Bas.) Représentation du début de la fugue en Do mineur en MIDI, **kern et MEI, prises à partir d’unfichier disponible sur http://kern.humdrum.org.
((Gauche.)) Les messages MIDI (ici décodés par midicsv, le format étant binaire) ont chacun une piste etun offset. Chaque note se transmet en deux messages (Note_on et Note_off). Le La [ est représenté par lepitch 68, comme un Sol ]. La polyphonie résulte de la simple superposition des voix.
((Milieu.)) Le format **kern, destiné à l’analyse musicologique, est un encodage texte en deux dimensions :la polyphonie se lit horizontalement tandis que le temps s’écoule verticalement. Toutes les altérations sontexplicites (a- pour La [). Des pistes d’analyse peuvent être rajoutées.
((Droite.)) Le format MEI utilise sur un schéma XML. Les altérations sont ici implicites : comme il y atrois bémols à la clé (key.sig="3f"), tous les La, représentés uniquement par pname="a", sont des La [.Une altération accidentelle, comme pour le Si bécarre, s’indique par accid=’n’.
52 7. Analyse musicale, analyse musicale computationnelle
7.4 Algomus
L’équipe émergente Algomus est une collaboration entre les laboratoires CRIStAL (UMR 9189CNRS, Université de Lille) et MIS (Université de Picardie Jules Verne, Amiens). Un ordinateurpeut-il comprendre la musique ? Dans le champ des humanités numériques, Algomus mène desrecherches en analyse musicale computationnelle (CMA, Computational Music Analysis), dans lechamp plus général de la recherche d’informations musicales (MIR, Music Information Retrieval).Notre but est de faire des algorithmes analysant des données musicales présentées sous forme departitions. Les racines méthodologiques d’Algomus sont dans l’algorithmique du texte, plusprécisément la comparaison de séquences musicales, que ce soit par des modèles de distance, géo-métriques ou statistiques.
Les données que nous manipulons sont ainsi des partitions musicales, symboliques. Ces donnéesdoivent être décodées, organisées, comprises : le cœur de métier d’Algomus est d’apporter dela sémantique aux données musicales, de proposer des descripteurs haut-niveau, des arbres, desgrammaires... Pour cela, nous développons des méthodes couplant analyse et synthèse : fouillede données et apprentissage sur des informations musicales pour analyser des motifs, des accords etdes enchaînements d’accords, de la texture ainsi que d’autres notions musicales, informations quenous synthétisons ensuite pour étudier la structure haut-niveau de la musique (chapitre 8). Nosdonnées d’entrées sont à la fois des corpus de partitions (corpus étant de plus en plus disponiblesavec des projets de numérisation et d’encodage symbolique), mais aussi des données d’annotationmusicale, réalisées en collaboration avec des musicologues (section 9.3). Une partie de notre travailest ainsi de créer des jeux d’analyse de référence, jeux sur lesquels les algorithmes de fouille dedonnées musicales peuvent être appris ou évalués.
Enfin, la modélisation et la visualisation de l’analyse musicale sont primordiales pour faire secomprendre deux mondes : celui des informaticiens et celui des musiciens. Nos représentations desanalyses musicales servent également de supports pédagogiques. Elles s’adressent aussi bien aumusicologue, au mélomane averti qu’à un plus large public (chapitre 9). Nous sommes ainsi réso-lument dans une démarche pluridisciplinaire entre informatique et sciences humaines et sociales.Nous menons des collaborations avec des musicologues, des professeurs de musique et des artistes,et réalisons des projets combinant sciences et arts ainsi que des actions de médiation autour de lamusique et de l’informatique (chapitre 11).
Une approche résolument symbolique. Comme évoqué ci-dessus, le domaine MIR est dominépar l’audio. Certains groupes font simultanément de l’audio et du symbolique, tandis qu’Algomusest focalisé sur le symbolique. Rappelons les propos de J. Stephen Downie : (« one needs to beable to read and understand music to work with symbolic music representations in a non-trivialmanner. »). La recherche d’Algomus repose précisément sur expertise musicologique et vise à« comprendre » le plus possible la musique.
Un focus sur l’analyse tonale. Le domaine MIR s’intéresse à tout type de musiques, popu-laires, savantes, de diverses traditions... et de nombreuses musiques ne sont pas notées sur parti-tions ! Chez Algomus, nous nous concentrons sur l’analyse d’œuvres de musique occidentale tonale(Western tonal music, appelée encore common practice, qui peut s’étendre en extended commonpractice [146]).
Une tonalité, telle que Do majeur, est un ensemble de notes ordonnées dans des gammes.Les notes décrites dans une partition musicale construisent des mélodies (dimension horizontale,temporelle) mais aussi des accords (dimension verticale, harmonique). Les enchaînements de cesaccords, appelés progressions harmoniques, structurent l’accompagnement d’un morceau et créentun plan tonal qui alterne entre moments de tension et de relâchement.
7. Analyse musicale, analyse musicale computationnelle 53
La musique tonale couvre une très grande partie de ce que nous entendons : dans la musiquedite classique, les périodes baroque, classique, romantique, post-romantique, ainsi que la plupartdes musiques folkloriques, de variétés, jazz, pop et rock. À l’inverse, certaines musiques des XXe etXXIe siècles (musique sérielle, spectrale, électronique, concrète) ne sont pas tonales, et demandentd’autres outils (en particulier de traitement du signal) pour être analysées. Même si la musiquetonale est écrite, jouée, entendue et théorisée depuis plus de quatre siècles, elle garde de nombreuxdéfis de modélisation musicologique comme informatique.
Positionnement par rapport à la communauté. Un acteur majeur de la musique à Pa-ris et dans le monde est l’Ircam, qui combine création et recherche. Si une grande partie de sestravaux est tournée vers l’audio, plusieurs chercheurs y travaillent, au moins en partie, sur lespartitions, en particulier dans l’équipe RepMus (G. Assayag). Nous y avons des liens particuliersavec J. Bresson? et F. Jacquemard?. En France, plusieurs autres groupes travaillent sur les par-titions, dont M. Desainte-Catherine (LaBRI, Bordeaux), D. Fober (GRAME, Lyon)?, F. Pachet(Sony CSL, Paris). Avec une partie de ces acteurs, nous participons au réseau MusICAL et nousenvisageons de nouveaux projets (voir page 79).
À l’international, les groupes ou les chercheurs de référence travaillant sur les partitions sonten particulier E. Cambouroupoulos (Univ. Thessalonique, Grèce)?, E. Chew (Queen Mary Univ.of London, UK), T. Collins (Leicester, UK), I. Fujinaga (McGill Univ., Canada), M. Goto (AIST,Japon), D. Meredith (Univ. Aalborg, Danemark)?, J. Pablo Bello (New York Univ, US), A. Volk(Univ. Utrecht, Pays-Bas)?, G. Wiggins (Goldsmiths’ College, UK). Nous connaissons la plupartde ces groupes, nous retrouvons à diverses occasions (principalement la conférence ISMIR, maisaussi des rencontres en réseau) et collaborons avec certains d’entre eux (?).
L’originalité d’Algomus est son focus sur des questions musicologiques de « haut-niveau », enparticulier sur la forme dans le répertoire classique. Ce focus se voit à la fois dans nos compétencesinternes et externes (collaborations avec des musicologues, avec lesquels nous co-publions) et seressent sur nos outils méthodologiques (combinaison d’approches explicites et statistiques).
54 7. Analyse musicale, analyse musicale computationnelle
8
Algorithmes d’analyse musicale
L’analyse musicale informatique propose des algorithmes pour expliquer les partitions encodéessymboliquement. L’analyse peut porter sur des éléments locaux ou globaux (section 8.1). En ce quiconcerne les éléments locaux, de nombreux travaux ont concerné la recherche et l’extraction demotifs mélodiques en comparant des séquences de notes (section 8.2.1). Nous avons travaillé sur cessujets, ainsi que sur la séparation de voix et la texture (section 8.2.2) et les cadences (section 8.2.3).
I
1 3 5 7 9 11 13 15 17 19 21 23 25 27 29 31
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S CS1 CS2 h h h CS2 S1 2 1 2 3 1 2 3 4 1 2 3 1 2 3 1 2
exposition episode exposition episode exposition episode exposition episode exposition episode exposition episodeexposition episode
Figure 8.1 – L’analyse de la fugue en Do mineur BWV 847 de Jean-Sébastien Bach révèle des occur-rences de motifs (S/CS1/CS2 et motifs incomplets h), des marches harmoniques (1/2/3), des degrés(chiffres romains), des cadences (traits verticaux épais, PAC et IAC) et finalement une structure (ex-position/épisode) [15]. L’analyse calculée, en bas, est très proche de l’analyse de référence, en haut.
Certains travaux, moins nombreux, tentent un mouvement de synthèse pour réaliser une analysede structure, globale. Avec Richard Groult et Florence Levé, j’ai souhaité relever le défi de l’analysede formes musicales (section 8.3), en particulier en ce qui concerne les fugues et les formes sonates.Le but est alors de proposer une interprétation analytique de l’ensemble de la pièce en s’appuyantsur les éléments locaux d’analyse et en leur donnant du sens.
Ce chapitre n’a pas pour but de rentrer dans le détail des algorithmes présentés. Il reprend enpartie notre revue [11] et notre chapitre [20], et résume quelques contributions techniques d’Algo-mus – en particulier notre contribution la plus aboutie, celle sur l’analyse des fugues [15]. Enfin,plusieurs exemples musicaux sont utilisés. Je ne présenterai pas ici d’introduction à la musique,mais j’espère que le lecteur non musicien profitera tout de même des figures pour comprendre nosobjectifs d’analyse.
56 8. Algorithmes d’analyse musicale
8.1 Analyse locale, analyse globale ?
Nous regroupons sous le terme d’analyse locale ce qui peut s’appréhender dans un contexterestreint (d’une à quelques mesures), tandis que l’analyse globale nécessite d’avoir une vue complètede la partition.
La séparation entre ces concepts est en partie artificielle : de nombreuses méthodes locales –telle que les découvertes de motifs évoquées ci-dessous – s’appuient sur l’ensemble de la partition.En retour, la connaissance d’aspects globaux peut guider une nouvelle analyse de motifs, plusprécise : ainsi, dans les fugues (voir ci-dessous, page 63), des occurrences approchées des sujets etcontre-sujets ne seront pas traitées de la même manière dans les parties d’exposition et dans lesdivertissements.
Cependant, les analyses de motif sur l’ensemble d’une partition considèrent généralement lapartition comme un ensemble, mais ni ordonné ni structuré. Ainsi, ces méthodes se concentrentsur un contexte local et ne font appel au reste de la partition que pour une évaluation statistique– elles donneraient le même résultat si la partition globale était « mélangée ». Le propre desméthodes d’analyse globale est d’essayer d’expliciter la structure haut-niveau de la partition, dansune démarche qui tente d’être ordonnée et structurée. Mais cette analyse doit sans cesse utiliserdes aspects locaux : les deux points de vue, local et global, sont tous deux indispensables pourobtenir une analyse d’ensemble de la partition.
8.2 Analyse locale
8.2.1 Analyse locale : motifs
Un motif est une unité minimale utilisée dans la composition, qui acquiert un statut particulierpar son retour exact ou transformé. Sa prégnance, c’est-à-dire sa faculté de marquer la mémoire,lui est conférée par des facteurs agissant le plus souvent en combinaison : intervalles, contourmélodique, rythme, harmonie. Une analyse de motifs complète devrait à la fois détecter des motifspertinents, estimer leurs bornes, détailler leurs occurrences et décrire leur transformation [11]. Denombreuses personnes ont travaillé sur l’extraction et la recherche de motifs – on pourra se référerà notre revue [11] pour quelques pointeurs. La suite de cette section présente des travaux en liendirect avec nos objectifs, ainsi que quelques-uns de nos résultats.
Occurrences et similarités approchées. Comment comparer plusieurs segments de la parti-tion pour identifier les différentes occurrences d’un motif ? La similarité entre deux séquences denotes monodiques (une seule voix) peut être estimée par l’algorithme de programmation dynamiquede Mongeau-Sankoff [60] et ses extensions. Ces algorithmes, inspirés des algorithmes classiques decomparaison de séquences biologiques de Needleman-Wunsch [37] et Smith-Waterman [47], cal-culent une score ou une distance d’édition (voir page 5), c’est-à-dire qu’ils évaluent les opérationsnécessaires pour transformer un motif en une de ses variantes (Figs. 8.2 et 8.3).
Les opérations d’édition habituelles sont l’identité, les remplacements, les insertions et sup-pressions, les consolidations et les fragmentations. Cependant, insérer ou supprimer des notes, oumême substituer un rythme, détruit généralement la perception des temps et de la mesure. Lesopérations de fragmentation et de consolidation sont plus appropriées pour transformer un motifen un autre. De plus, l’algorithme de Mongeau-Sankoff utilise le contexte tonal (voir page 52) : lescore mesurant la similarité entre deux notes dépend des gammes respectives des deux séquences.
Ce sont par ces algorithmes, très similaires à la bioinformatique, que j’ai découvert le do-maine MIR. En 2011, nous avons eu une première publication qui comparait des rythmes avec uneadaptation de l’algorithme de Mongeau-Sankoff [2]. Notre algorithme de détection des sujets et
8. Algorithmes d’analyse musicale 57
S(i, j) = max
8>>>>>>><
>>>>>>>:
0 (début d’une correspondance locale)S(i � 1, j � 1) + �(xi, yj) (identité ou remplacement d’une note xi en yj)S(i, j � 1) + �(✏, yj) (insertion d’une note yj)S(i � 1, j) + �(xi, ✏) (suppression d’une note xi)
max` S(i � 1, j � `) + �(xi, {yj�`+1...yj}) (fragmentation de xi en ` notes)maxk S(i � k, j � 1) + �({xi�k+1...xi}, yj) (consolidation de k notes en yj)
Figure 8.2 – Algorithme de Mongeau-Sankoff et variantes [60]. L’algorithme calcule, par programmationdynamique, la similarité entre deux séquences de notes x = x1 . . . xm et y = y1 . . . yn. La fonction � est lafonction de score pour chaque type de mutation. La première ligne, en initialisant à 0 l’ensemble des valeursS(i, j), permet de calculer un alignement local : la valeur S(i, j) est le meilleur score pour un alignementlocal entre un suffixe de x1 . . . xi et un suffixe de y1 . . . yj . Si la première ligne n’est utilisée que pour lavaleur S(0, 0), l’algorithme calcule alors le score du meilleur alignement global entre les séquences. Enfin, sielle n’est utilisée que pour les valeurs S(0, j), l’algorithme calcule les scores des meilleurs alignements semi-globaux, c’est-à-dire le score de l’alignement de la séquence x1 . . . xm (vue comme un motif) à l’intérieurde la séquence y1 . . . yn (vue comme un texte, typiquement une voix complète dans la partition).
Au lieu de compararer directement les notes (�(xi, yj)), on a souvent intérêt à comparer les intervalles denotes (�(�xi,
�yj), où �xi est construit à partir de xi�1 et xi). Dans notre étude sur les fugues, nousavons en plus utilisé une deuxième table Sf (m, j) = S(m�1, j �1)+�f (
�xm, �yj), où les valeurs Sf (m, j)sont des scores « finalisés » mettant en jeu des scores différents (�f ) pour la dernière note xm du motif [3].
Figure 8.3 – Alignement entre motifs « a » et « b » du thème de la Cane de Jeanne, de Georges Bras-sens (voir Fig. 7.1), obtenu avec une adaptation de l’algorithme de Mongeau-Sankoff. Le motif « b »s’obtient à partir du motif « a » par plusieurs remplacements de notes (R) ainsi que par une fragmentationd’une note (noire pointée) en deux notes (noire et croche) (F2).
contre-sujets dans les fugues (voir ci-dessous) repose aussi sur une adaptation de l’algorithme deMongeau-Sankoff [3]. Enfin, concernant l’analyse de thèmes et variations, j’ai proposé, en collabo-ration avec Emilios Cambouropoulos puis lors du stage de Ken Deguernel, une généralisation desopérations de fragmentation [6], en considérant une variation comme une fragmentation étenduepar rapport à une réduction du thème (Fig. 8.4).
Plusieurs auteurs ont proposé d’autres méthodes de recherche approximatives [84, 67], y comprispour des séquences polyphoniques [119]. Certaines méthodes de similarité musicale ne sont pasbasées sur la distance d’édition [101, 96], en particulier les méthodes géométriques [108, 81].
Nous pensons que de meilleures opérations d’édition devraient voir le jour, permettant de décrirede manière plus musicale les transformations successives d’un même motif en prenant en comptele contexte tonal. On pourrait par exemple modéliser directement des transformations de k notesen ` notes, qui donneraient une contribution maxk,` S(i� k, j� `)+ �({xi�k+1
...xi}, {yj�`+1
...yj})
au score calculé dans la figure 8.2.
Motifs répétés et occurrences. Comment inférer un motif à partir d’une partition ? On peutsélectionner les motifs donnant l’ensemble d’occurrences le plus satisfaisant [69]. Les répétitionsdes différentes occurrences ont une grande importance sur la perception du début d’un motif [95],
58 8. Algorithmes d’analyse musicale
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m7@144 | Score = 4→ m5@96 Check pitch parallelism: [×2 ?] ++ Parallelism [×2] found.
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Music engraving by LilyPond 2.16.1—www.lilypond.orgFig. 3. Two overlapping matches found on the minor variation of K. 331, at measures
13 and 14, including each one 4 fragmentations into 6 notes (F6), with length and pitch
±1 constraints. The � marks indicate the pitches that are identical to the query (with
the approximation C = C#). (Top.) The real match is confirmed by the parallelism
of pitch positions (sixteenths number 1, 5, 7 and 10 inside each measure) (Bottom.)
This spurious match is discarded, as the position of the matching pitches are di�erent
in the two measures.
variations.py -5 --parser2012 vII
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m7@864 | Score = 4→ m5@576 Check pitch parallelism: [×2 ?] ++ Parallelism [×2] found.
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m7+1q+24@936 | Score = 4→ m5+1q+24@648 Check pitch parallelism: [×2 ?] ++ Parallelism [×2] found.
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m8@1008 | Score = 4→ m6@720 Check pitch parallelism: [×2 ?] ++ Parallelism [×2] found.
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Fig. 4. A false positive in variation III of K. 331, that has also common pitch positions.
This false positive occurs (with overlapping) one measure later than a true occurrence,
at measure 5, that is correctly detected.
Figure 8.4 – Correspondance entre le thème et la variation mineure de Andante grazioso de la sonate pourpiano numéro 11 de Mozart (K 331). La texture de la variation (en bas) peut se voir comme une série defragmentations en six notes d’une réduction manuelle du thème (en haut). De plus, la même opération detransformation est appliquée sur les deux mesures. Cela permet d’effectuer un test simple de parallélisme,en regardant les notes identiques à la réduction, marquées ici par des étoiles : ces notes sont placées à despositions similaires dans les deux mesures [6].
comme dans ce que nous avons fait sur la fin des sujets (voir page 63). Certaines techniques dedétection de motifs combinent ces aspects locaux et globaux [79].
O. Lartillot a développé une approche originale d’extraction de motifs [75, 105]. La descriptionde ces motifs peut prendre des valeurs dans plusieurs dimensions. Ainsi, un motif peut prendre laforme ré noire, croche, croche, sol noire, la hauteur des deux croches n’étant pas spécifiée. Cetteapproche permet de construire un ensemble de motifs incluant un grand nombre de paramètres(hauteurs relatives ou absolues, diatoniques ou chromatiques, durées, métrique mais aussi poten-tiellement accentuation, fonctions harmoniques...). Pour être significatif, un motif « fermé » doit serépéter au moins deux fois, et être le plus spécifique possible vis-à-vis de ces occurrences (Fig. 8.5).J’ai débuté en 2014 une collaboration avec O. Lartillot, dans le but de mieux comprendre lespossibilités de son approche et de les comparer avec des techniques d’extraction de motifs plusclassiques.
8.2.2 Analyse locale : strates polyphoniques, texture
Motifs et strates polyphoniques, séparation de voix. Comment comprendre une partitionpolyphonique (à plusieurs voix) ? La polyphonie peut parfois se séparer en voix monophoniques –et, pour nos analyses les fugues ou les formes sonates (section 8.3), nous partons de fichiers oùles différentes voix sont séparées. Sur ce type de polyphonie, Conklin et Bergeron ont proposéd’extraire des motifs contrapuntiques élémentaires, c’est-à-dire des motifs présentant localementl’agencement de voix mélodiques distinctes. Ces motifs tiennent compte de la conduite des voixtout comme de relations de consonance et de dissonance [131] (Fig. 8.6).
Les algorithmes de séparation de voix, parmi lesquels [89] et [143], tentent de retrouver cesvoix à partir de la polyphonie (Fig. 8.8). De manière générale, cette séparation de voix n’est pastoujours possible ou souhaitable : de nombreuses textures pour piano ou pour d’autres instrumentspolyphoniques font intervenir des accords avec un nombre de notes variables. Inversement, le jeud’un instrument monophonique peut faire apparaître plusieurs strates. Pour regrouper horizonta-lement (au cours du temps) et verticalement (dans l’espace des hauteurs) des strates appartenantà un même tissu musical, une étude a proposé d’utiliser un clustering en k plus proches voisins àpartir de critères de groupement (Fig. 8.7) [117].
Nicolas Guiomard-Kagan, dans la première partie de sa thèse que je co-encadre avec V. Villain,F. Levé et R. Groult, a travaillé sur ces sujets, pour aboutir à une comparaison unifiée entre lesalgorithmes de séparation de voix et ceux de regroupement de strates [17]. Pour cela, il utiliseet généralise un ensemble de métriques, que ce soit sur les notes, les paires de notes [89] ou enutilisant une mesure d’information mutuelle [114]. Il travaille désormais sur l’amélioration de cesalgorithmes.
8. Algorithmes d’analyse musicale 59
252
Motivic Pattern Extraction in Symbolic Domain
mostly redundant descriptions incorrectly filtered.
This results partly from unsolved errors in the
modeling process, but also shows the necessity
of taking into account other heuristics. Finally,
in order to obtain the compact representation
displayed in Figure 17, some manual ordering of
the computational results was required. For more
results, and discussions about the complexity of
the algorithm, see Lartillot (2005b) and Lartillot
and Toiviainen (in press).
Figure 17. Automated motivic analysis of J.S. Bach’s Invention in D minor BWV 775, first 14 bars. The
representation of the motives follows the convention adopted in the previous figure. The motives for
each voice are shown below the respective staves. The class of each motive is indicated on the left side
of the lines.
252
Motivic Pattern Extraction in Symbolic Domain
mostly redundant descriptions incorrectly filtered.
This results partly from unsolved errors in the
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of taking into account other heuristics. Finally,
in order to obtain the compact representation
displayed in Figure 17, some manual ordering of
the computational results was required. For more
results, and discussions about the complexity of
the algorithm, see Lartillot (2005b) and Lartillot
and Toiviainen (in press).
Figure 17. Automated motivic analysis of J.S. Bach’s Invention in D minor BWV 775, first 14 bars. The
representation of the motives follows the convention adopted in the previous figure. The motives for
each voice are shown below the respective staves. The class of each motive is indicated on the left side
of the lines.
Figure 8.5 – Analyse motivique de l’invention à deux voix BWV 775 de J.-S. Bach [105]. Chacun desmotifs est identifié par une lettre, et les motifs sont reliés entre eux par des relations de spécificité. Parexemple, le motif b, « ré mi fa » en doubles-croches débutant sur un temps, se transforme en b0 (mêmemotif, mais débutant à contre-temps) puis b00 (« do ré mi », transposition diatonique).
Pattern Schema Examples
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AT
Table 1. Patterns discovered by computing background probabilities using an anticorpus. Top: distinctive of SB; bottom:distinctive of AT.
relation on a weak beat and resolve it straight away throughstepwise melodic motion.By opposition, one can expect the inner voices (AT),
which are less perceptually salient, to be used more freelyto create harmonies, with less considerations for the pres-ence of dissonance. The last three patterns of Table 1 allcharacterize the inner voices and are consistent with thisidea. All patterns introduce a dissonance over a st tem-poral relation. Pattern 5 clearly demonstrates this: a disso-nances of a perfect fourth, usually forbidden between outervoices, here freely occurs in both examples.In addition to the results presented in Table 1, many of
the most interesting patterns discovered by VVP refer toeither SB or AT pairs (data not shown). This suggests thatthe inner and outer voices are the two voice pairs that arethe easiest to characterize, possibly because they differ the
most from other voice pairs in terms of their contrapuntalquality.
3.2 Null model
In this experiment, we consider all voice pairs together (acorpus of 1110 two-voice pairs). Patterns are ranked byusing a null model (Equation 3) to compute backgroundprobabilities. The seven most distinctive patterns are pre-sented in Table 2. Again, the total count and score of eachpattern is shown as a number pair.The first pattern exhibits consecutive leaps. On its own,
a leap is less likely than a step. Similarly, a sequence ofleaps will be deemed unlikely by the null model. How-ever, the first pattern contains such a sequence and doesoccur significantly in the chorales: 11 times more than ex-
Figure 8.6 – Détection d’un « motif contrapuntique » élémentaire dans un corpus de 185 chorals de J.-S.Bach, et exemple de deux de ses occurrences [131]. Ce motif est « distinctif » du couple SB (soprane/basse),ayant cinq fois plus d’occurrence dans le couple SB que dans les autres ensembles de voix. Le motif estconstitué des relation de consonnance (b/e et c/f : unissons, tierces et sixtes majeures et mineures, quintejuste) et de dissonance (a/d : autres intervalles), ainsi que de relations de simultanéité ou de successiontemporelle. ISMIR 2008 – Session 1b – Melody
Figure 4 Stream segments detected by algorithm in the opening of Beethoven’s Sonata Op.31, No.3 (see text for details).
Figure 5 Stream segments detected by algorithm in the opening of Chopin’s Mazurka Op.6, No.2 (see text for details)
Figure 6 Stream segments detected by algorithm in the opening of Chopin’s Mazurka Op.7, No.5 (see text for details)
Figure 7 Stream segments detected by algorithm in the opening of Bach’s Fugue in F# major No.14, WTCI, BWV859 (see text
for further details)
88
Figure 8.7 – Détection de strates polyphoniques dans l’introduction de la sonate op. 31 no 3 de Beetho-ven [117]. Cette analyse automatique reprend certains critères de groupement de Deutsch [48, chapitre 6].Les groupes favorisent des notes synchrones, et, pour des notes successives, celles étant à hauteurs proches.Dans les deux premières mesures, cette détection réussit à séparer la mélodie (haut de la main droite)de l’accompagnement (accords en blanches, répartis sur les deux mains). Dans les deux toutes dernièresmesures, l’algorithme propose, avec raison, trois strates, une de mélodie et deux d’accompagnement
60 8. Algorithmes d’analyse musicale
Figure 8.8 – Séparation de voix [17]. À partir d’une polyphonie (gauche), le but des algorithmes deséparation de voix est d’extraire plusieurs voix monophoniques (droite). Trois voix sont ici extraites :{3, 5, 6, 12, 14}, {1, 2, 7, 9, 11} et {4, 8, 10, 12, 13}. La séparation complète n’est pas toujours réalisable nisouhaitable : la séparation peut aussi produire des segments isolés, comme par exemple {1, 2} et {7, 9, 11}.
Texture. La texture est le rendu de la surface musicale obtenu par une combinaison de notes,possiblement jouées par plusieurs instruments. On parle souvent de texture pour décrire les dif-férents timbres d’instruments ou de groupe d’instruments (texture de cordes, de cuivres...). Latexture s’applique aussi sur des partitions destinées à un seul instrument polyphonique (piano,orgue, guitare...) ou à un ensemble d’instruments de timbres similaires (quatuor de cordes, en-semble de flûtes à bec...). La texture qualifie alors différentes strates de notes telles que mélodiesou accompagnements.
On différencie habituellement les textures homophoniques (voix rythmiquement similaires) etles textures polyphoniques (plusieurs strates, le plus souvent une mélodie avec un accompagnement,mais aussi contrepoint). On peut aussi avoir une combinaison de ces notions, comme par exempledes voix rythmiquement similaires deux à deux (Fig. 8.9). La notion de texture recouvre aussi desaspects de densité (nombre de voix, degré d’intrication des voix par le rythme et les registres). Aucontraire de l’harmonie ou de la mélodie, la texture a été rarement modélisée par les musicologues.Nordgren propose de classifier des textures orchestrales selon la répartition verticale des accords, entenant compte de la présence éventuelle de vides et du registre de ceux-ci, le nombre de doubluresou le nombre d’instruments présents [34].
Du côté de l’informatique musicale, David Huron modélise la texture en considérant deuxparamètres, la synchronisation des notes et la présence de mouvements parallèles [58]. Il parvientainsi à reconnaître quatre types de texture : monophonie, homophonie, polyphonie et hétérophonie,et à classifier certains styles de musique.
Figure 8.9 – Textures et mouvements parallèles [10]. Extrait d’un quatuor à cordes de Haydn (op. 33 no. 6,m. 28-33). L’analyse de référence contient quatre mouvements parallèles indiqués ici par quatre couleursdifférentes. Chacun de ces mouvements parallèles fait jouer les voix deux par deux.
Avec Florence Levé, Marc Rigaudière, Florent Mercier et Donatien Thorez, j’ai proposé de for-maliser la décomposition de la texture en strates [10]. À l’intérieur de ces strates, les voix peuventavoir plusieurs types de relations (du moins au plus contraignant, h, homorythmie, p, mouve-ment parallèle, o, octave, u, unisson). Nous avons conçu un algorithme de détection de passageshomorythmiques (éventuellement avec des contraintes supplémentaires p/o/u) à l’intérieur d’une
8. Algorithmes d’analyse musicale 61
polyphonie non séparée en voix. Grâce à une simple programmation dynamique, cet algorithmeest en temps O(n2
), où n est le nombre de notes. En évaluant cet algorithme par rapport à uneanalyse manuelle de dix mouvements de quatuor à cordes (Mozart, Haydn), nous retrouvons plusde la moitié des mouvements parallèles indiquées avec une précision de plus de 80% [10].
Nos travaux sur la texture sont plus particulièrement portés par Florence Levé, en collaborationavec Marc Rigaudière (Sorbonne). En 2015, nous avons débuté une nouvelle collaboration avecFlorence Doé de Maindreville (Reims), spécialiste des quatuors à cordes du XIXe siècle. Nouscherchons à mieux modéliser les différentes textures et à trouver des moyens algorithmiques de lesdétecter.
8.2.3 Analyse locale : harmonie et cadences
L’analyse harmonique, qui s’intéresse aux accords de notes, a suscité de nombreux travauxd’informatique musicale. Les algorithmes de détection de tonalité locale [42, 50, 70] estiment latonalité la plus probable pour chaque segment de la pièce en considérant les hauteurs de notes. Ladétection d’accord peut notamment se réaliser suite à une segmentation harmonique de la partition[76]. Des travaux plus récents ont pris aussi en compte la distribution des intervalles [106] ou lacombinaison de méthodes [118].
Détecter les tonalités locales est un premier pas vers une analyse fonctionnelle, précisant lesdegrés et fonctions de chaque accord tout comme les progressions harmoniques (enchaînementsd’accords) [104, 127]. Les cadences sont des progressions harmoniques particulières qui marquent lesfins de phrases musicales et les transitions entre les parties d’une pièce, et contribuent à l’impressionque la musique « se termine », est « suspendue », ou « part dans d’autres directions ». Elles sontle principal moyen d’articuler le but tonal d’une pièce (voir, ci-dessous, la forme sonate 8.3). Si ladétection de tonalité locale réussit généralement, les bornes précises de ces tonalités sont souventmal estimées, les notes modulantes et les cadences n’étant pas précisément identifiées.
Nous avons proposé dans [15] une modélisation des cadences parfaites (mouvement de basse,présence des accords de dominante et de tonique) (Fig. 8.10). Cette technique simple parvientà détecter 57% des cadences parfaites, sans quasiment aucun faux positif, dans un corpus de 36fugues. L’analyse des cadences et des progressions harmoniques est désormais l’un des principauxobjectifs de l’équipe (voir section 10.1).
62 8. Algorithmes d’analyse musicale
Figure 8.10 – Détection de cadences [15]. (Haut) La fin de la fugue en Do mineur BWV 847 comporteune cadence parfaite (PAC), correctement détectée. La cadence imparfaite (IAC) n’est pas pour l’instantrecherchée. (Bas) Dans la fugue en La mineur BWV 865, la cadence parfaite (PAC) est bien détectée, maisl’algorithme détecte ici deux faux positifs (cadences parfaites avec voix supérieure autre que la tonique,rIAC). Ces faux positifs viennent en particulier du fait que la détection se limite au contexte harmoniqueet n’inclut pas encore des données phraséologiques (détection de fins de phrases).
8. Algorithmes d’analyse musicale 63
8.3 Analyse globale : vers l’analyse de formes musicales
Idéalement, l’analyse d’une oeuvre inconnue se fait sans a priori – si ce n’est une connaissanceimplicite de l’ensemble du répertoire et de ses formes existantes. Le but d’une analyse globaleest alors de réaliser directement une analyse à grande échelle. La forme convenant aux donnéesd’entrée, pièce ou ensemble de pièces, sera éventuellement inférée.
Une telle inférence de structure pose de grandes difficultés combinatoires, mais certains travauxprometteurs se sont attaqués à ces questions. Alan Marsden [138] tente de s’approcher automati-quement d’une analyse schenkérienne [31], par des réductions successives d’une partition monopho-nique. Au Japon, une équipe essaie d’automatiser directement les modèles de la Generative Theoryof Tonal Music (GTTM) [51] en implémentant des règles de groupement préférentielles [103]. Leurmodèle se limite pour l’instant à l’analyse de thèmes. Algorithmiser ce type de modèles demandede faire face à des choix analytiques et à une explosion combinatoire du nombre de dérivationspossibles.
Les différentes techniques développées ou utilisées par Algomus ont pour but d’aller vers uneanalyse globale de la partition, en s’inscrivant dans une analyse de forme d’un corpus identifié. Unede nos originalités est que nous ne cherchons pas à faire une analyse globale à partir des notes. Dela même manière qu’une analyse syntaxique d’une phrase ne part pas des lettres ou des phonèmes,mais plutôt des mots, nos analyses ne partent pas des notes mais d’éléments d’analyse locale,calculés ou manuels. Cette simplification du « bas-niveau » nous permet de viser des objectifs plussynthétiques pour le « haut-niveau ». Je présente ici nos résultats de notre pipeline d’analyse defugues, ainsi que quelques résultats préliminaires sur les formes sonates ainsi que sur la modélisationd’inventions avec des grammaires.
Fugues. Une fugue est une pièce de musique polyphonique contrapuntique, c’est-à-dire où chaquevoix joue une ligne mélodique : l’harmonie d’ensemble résulte de la combinaison des voix.
Le début de la fugue de J.-S. Bach en Do mineur BWV 847 est représenté sur la figure 8.11. Lesfugues sont généralement composées de deux à cinq voix, et cette fugue a trois voix. La fugue estconstruite sur un thème appelé sujet (S) qui revient tout au long de la pièce. La figure montre ainsiles trois premières entrées (ou occurrences) du sujet. Le sujet est exposé dans une voix (l’alto), encommençant par un Do, jusqu’à ce que la seconde voix entre (la soprano, mesure 3). Le sujet estalors exposé à cette seconde voix, mais il est désormais transposé, débutant par un Sol. Durant cetemps, la première voix continue avec le premier contre-sujet (CS1).
La fugue alterne entre d’autres entrées « thématiques » du sujet et des contre-sujets (huitoccurrences de S, six de CS1 et cinq du deuxième contre-sujet, CS2) et des développements surces motifs appelés épisodes ou divertissements (E, les deux premiers épisodes sont indiqués surla Fig. 8.11).
Les épisodes peuvent contenir des cadences qui concluent des moments de tension. Ils ontfréquemment des marches harmoniques, c’est-à-dire des passages où un motif à plusieurs voix estrépété de manière consécutive, en commençant sur des notes différentes. La fin de la fugue estsouvent marquée par un stretto qui est une succession d’entrées incomplètes de S dans toutes lesvoix. La cadence finale est souvent suivie d’une pédale de basse (une note tenue durant plusieursharmonies, qui peut accompagner une dernière exposition d’un sujet, voir le haut de la figure 8.10).La figure 8.1, au début du chapitre, montre la structure de toute cette fugue en Do mineur.
Analyse automatisée de fugues. Weng et Chen ont essayé d’identifier certaines formes (fugue,rondo), mais sans analyse détaillée [94]. J’ai commencé à travaillé sur ce sujet en 2011 avec RichardGroult et Florence Levé. Nous avons proposé un pipeline complet d’annotation des fugues [15], testésur les 24 fugues du premier livre du Clavier bien tempéré de Bach et les 12 premières fugues del’opus 87 de Shostakovitch. Le pipeline utilise les étapes suivantes :
64 8. Algorithmes d’analyse musicale
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#Episode 2 (E2)
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Figure 8.11 – Début de la fugue en Do mineur de J.-S. Bach (fugue 2 du premier livre du Clavier bientempéré, BWV 847), avec indication des sujets (S), contre-sujets (CS1 and CS2), et des deux premiersépisodes (E1 and E2). Les notes terminant les sujets sont entourées, et les notes terminant les contre-sujetssont encadrées. Dans les épisodes, les crochets montrent les motifs récurrents (trois occurrences pour E1,deux pour E2).
— choix de la note de fin des sujets (succès dans 64% des cas) et des contre-sujets, par compa-raison des motifs potentiels avec l’ensemble des occurrences dans la partition 1 ;
— détection des occurrences des sujets et contre-sujets (avec plus de 80 % de sensibilité et deprécision), par comparaison approchée sur les hauteurs diatoniques, et avec une rechercheexacte des durées, excepté sur la première note et la dernière note [3]. Sur la figure 8.1,les sujets et les deux contre-sujets sont parfaitement retrouvés, excepté une occurrence d’uncontre-sujet répartie entre plusieurs voix (mesures 26 à 28) ;
— recherche de marches harmoniques, détectées à partir de trois occurrences successives d’unmotif diatonique sur toutes les voix. Les marches harmoniques sont un des marqueurs desépisodes (plus de 40 % des épisodes des fugues de Bach sont composés de telles marchesharmoniques) [5] ;
— détection des cadences (fins de phrases musicales) et des pédales (notes maintenues alors queplusieurs accord s’enchaînent) [15] ;
Tous ces éléments sont locaux, et les trois premiers points sont obtenus par des adaptationsde l’algorithme de Mongeau-Sankoff présenté page 56. Cependant, nous inscrivons ces élémentslocaux dans une analyse globale. En effet, les fugues ont été souvent prises comme exemples pourla recherche de motifs, car elles présentent de nombreuses occurrences des sujets et contre-sujets.En étendant les algorithmes, on arrive à localiser des occurrences approximatives de ces motifs...à peu prêt partout dans la fugue ! Même s’il est juste de dire que « toute la fugue est construitesur S et CS », l’intérêt d’une analyse est de décortiquer cette construction, de lui donner du sens,en particulier sur la structure.
1. La figure 9.5, au chapitre suivant, montre les résultats de l’algorithme (notes encadrées) sur des sujets dont lafin est ambiguë.
8. Algorithmes d’analyse musicale 65
Notre approche est différente et nous ne considérons pas la fugue juste comme un prétexte pourfaire des recherches de motifs. Ce que nous considérons comme occurrence s’inscrit dans une analyseglobale : les occurrences incomplètes (comme « h » sur la figure 8.1, pour tête du sujet, subjecthead) sont précisément dans les épisodes, tandis que les passages d’exposition sont caractérisés pardes occurrences complètes. Nos analyses de référence (voir page 74) font ce type de distinction.
Enfin, nous utilisons un modèle de Markov pour rassembler une partie des éléments locauxdans une segmentation (Fig. 8.12) [15], L’idée est à la fois d’intégrer une certaine flexibilité dansla reconnaissance de structure et de pouvoir réaliser cette reconnaissance même avec une analyselocale parfois ambiguë ou erronée. Nous souhaitons compléter ce modèle très simple en prédisantplus d’états tout comme en prenant en compte plus d’éléments locaux. Pour cela, nous avonscommencé un travail sur l’apprentissage des poids du modèle, qui étaient jusqu’à maintenant fixésmanuellement (voir page 78).
Exposition
0.6
Episode
0.40.4
0.6
First exposition
0.4
0.1
0.4
Codetta
0.10.4
0.6
S (first occurrence)
CS/CS2S/CS/CS2
Harmonic sequence Harmonic sequence
1
Figure 8.12 – Modèle de Markov caché utilisé pour prédire la structure (exposition/épisode) à partir deséléments locaux d’analyse [15]. Les probabilités de transitions ont été choisies manuellement pour favoriserune certaine stabilité à chaque état, les différentes sections durant habituellement au moins deux mesures.Les états « first exposition » et « codetta » servent uniquement durant l’exposition initiale. Les probabilitésd’émission n’ont pas été représentées sur ce schéma. Les émissions avec des flèches pointillées sont rares(marches harmoniques durant les expositions).
Le modèle actuel permet déjà de prédire une première segmentation avec une alternance dessections d’exposition et d’épisodes. Une évaluation subjective du résultat de la segmentation coupléeà l’ensemble des analyses locales sur les 36 fugues a jugé 17 analyses comme « bonnes », 12« correctes » et 7 « mauvaises ». En utilisant les outils décrits au chapitre suivant, nous proposonsune visualisation interactive de l’analyse sur ces 36 fugues (http://algomus.fr/fugues).
Formes sonates. Nous avons présenté en 2014 un travail préliminaire sur la forme sonate ef-fectué lors des stages de Laurent David et Corentin Louboutin [9]. Cette forme est bâtie sur deuxzones thématiques (principale, P, et secondaire, S) mais surtout sur un plan tonal sur l’ensemblede la pièce (Fig. 8.13). L’analyse d’une forme sonate demande donc elle aussi de combiner des as-pects locaux avec des aspects globaux (plan tonal, structure d’ensemble). Le premier défi est dansla détection de la structure générale : couple exposition/réexposition, avec des marqueurs précislorsqu’ils existent, formant la structure tonale à grande échelle.
Après une identification de fins de phrases, nous avons tenté une première approche de détectiondes zones P et S : recherche de la zone P du départ à une fin de phrase, sans transposition, puisrecherche de la zone S sous la contrainte d’une transposition depuis la dominante. Cela permet deretrouver le couple exposition/réexposition, mais la zone S prédite peut être détectée en amontde la zone réelle S, la fin de la transition entre P et S étant déjà transposée à la dominante dansl’exposition (Fig. 8.14). Un objectif serait d’identifier précisément (lorsque c’est possible) la fin dupremier thème et le début du second, en s’appuyant sur une demi-cadence particulière, la césuremédiane, lorsqu’elle existe [98].
66 8. Algorithmes d’analyse musicale
Figure 8.13 – Structure d’ensemble d’une forme sonate, schéma et notations tirés du livre de Hepokoski etDarcy [98, page 17]. La forme sonate est construite sur un thème (ou une zone thématique) principal (P),un thème secondaire (S) et une conclusion (C). Entre les deux thèmes, la transition (TR) se termine parla césure médiane (medial caesura) (MC). À la fin du thème secondaire se trouve une cadence parfaite,dénommée EEC (Essential Expositional Closure) dans l’exposition et ESC (Essential Structural Closure)dans la réexposition ( recapitulation).
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Figure 8.14 – Recherche du couple exposition/réexposition dans le premier mouvement du quatuor à cordesK. 157 no 4 de W. A. Mozart [9]. Le schéma du haut montre une analyse de référence avec cadences etmarqueurs structurels en utilisant les notations de [98]. Le schéma du bas représente ce qui est trouvé parle programme. Les traits fins verticaux dans l’exposition montrent des fins de phrases potentielles, et lestraits gras des cadences potentielles.
Formalisation par grammaires paramétriques. Dans l’élan des modélisations du langagenaturel, la modélisation de la musique par grammaires a été proposée depuis les années 1980,notamment dans les travaux précurseurs de Marcel Mesnage et d’André Riotte [99]. Certainesmodélisations par grammaires ou automates peuvent aller jusqu’à la composition automatique [61,83]. La musique est différente des langages naturels : il n’y a généralement pas de grammaire aussibien formalisée, le sens fait généralement débat, et enfin les éléments de base, les notes, sont dansun espace bi-dimensionnel. Les solutions existantes jusqu’à présent réussissent parfois à modéliserune pièce mais sont peu flexibles et ne traduisent pas vraiment le discours musical.
Avec Sławek Staworko, j’ai proposé d’utiliser des grammaires paramétrées, ce qui permet deréutiliser du matériau musical identique ou similaire dans différents contextes [16]. Cette étudecontient un premier algorithme identifiant une dérivation d’une telle grammaire dans une séquencemusicale réencodée sur des motifs élémentaires, et une application sur des inventions de Bach(Fig. 8.15). Les inventions sont des pièces pour clavier jouant en imitation de manière obstinéesur un petit nombre de motifs de base. Dans cet exemple, l’invention à deux voix est construitesur les motifs des premiers temps (ab et ce). La paramétrisation nous a permis d’utiliser la mêmegrammaire pour dériver partiellement la structure de trois des inventions. Pour cela, pour gagneren généralité :
— nous avons choisi de ne pas partir des notes mais d’éléments d’analyse locaux (ici calculésmanuellement) représentant la surface musicale. Partir de la partition ajouterait une difficulté
8. Algorithmes d’analyse musicale 67
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Music engraving by LilyPond 2.19.12—www.lilypond.org
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... |abAA|BbAz||ABss|abss|ABss|abss|abab|abcz|AB??|----||
... |c?AB|BBcz||--AB|ssab|ssAB|ssab|eece|ceAB|ceaz|----||
Fig. 1. (top) Patterns used to model musical surface of Bach invention #01, taken
from the first four measures of the sopran voice. All patterns have a duration of a
quarter. a/B: four sixteenths, upwards/downwards; b/B: sixteenths, two successive
thirds, upwards/downwards; c: eights, large intervals; e: eights, small intervals. (bot-
tom) Reduction of the whole invention using mainly these patterns.
2.2 High-level structural analysis
We propose to roughly model the invention #01 with the following grammar G1
:
S0
() ! P (x, y, z, w) + P (x, y, z, w) + P (z, w, x, y)
P (x, y, z, w) ! T (x, y) + D(z, w) + I(w)
T (x, y) ! (x/ + y/ + /x + /y) ⇤ 2 | ( /x + /y + x/ + y/ ) ⇤ 2
D(x, y) ! (x/ + y/ ) ⇤ 4 | ( /x + /y) ⇤ 4
I(x) ! (x/ ) ⇤ 3 | ( /x) ⇤ 3
The formalism – parametric grammars – is described in the next section. We
now explain how this grammar can encode the structure of the invention #01.
Each part P is split in three sections with an increased perceived pulse. In a
thematic section T (x, y), two patterns x and y are used during two consecutive
quarters, then on again two consecutive quarters but on the other voice. This
is repeated twice, giving a feeling of a large repeat of period one measure. For
example, the first two measures (soprano: abce|abce / alt: --ab|--ab) can be
modeled with T (a, b). In a development section D(x, y), the patterns x and yare repetitively used during two consecutive quarters, but always on the same
voice, during two measures (such as ABAB|ABAB / eece|cees with D(A, B)).
Now the individual halves of each measures are more perceived. Finally, in a
intensification section I(x), some pattern x is played three times at every quarter,always on the same voice (such as BBB / eec with I(B)). This intensification is
concluded by a cadential element before the start of a new part P .
The rule deriving TDI sections from P links the di�erent sections of a same
part: one reason of the perceived unity of each part is the unity of the musical
material used. Here the pattern x for the D section is reused into the I section.
Similarly, at the top level S0
, the di�erent P parts use the same material, but
the last one use the materials in di�erent orders.
8>>>>>>>><
>>>>>>>>:
S0
() ! P (x, y, z, w) + P (x, y, z, w) + P (z, w, x, y)
P (x, y, {z, w}) ! T (x, y) + D(z, w) + I(w) 2
P (x, y, {z, w}) ! T (x, y) + I(w) 2
P (x, y, {z, w}) ! T (x, y) + D(z, w) 2
T (x, y) ! (x/– + y/– + –/x + –/y) ⇤ [1; 2] | (–/x + –/y + x/– + y/–) ⇤ [1; 2]
D(x, y) ! (x/– + y/–) ⇤ [3; 4] | (–/x + –/y) ⇤ [3; 4]
I(x) ! (x/–) ⇤ [3; 4] | (–/x) ⇤ [3; 4]
Figure 8.15 – Modélisation par grammaire paramétrique de la structure musicale [16].
(Haut) Motifs élémentaires, d’une durée d’une noire, utilisés pour modéliser l’invention de Bach en Domajeur BWV 772. a/A : double-croches, montantes/descendantes, b/B : double-croches en tierces, descen-dantes/montantes, c : croches, grand intervalle, e : croches, petit intervalle.
(Milieu) Réduction manuelle de la pièce en utilisant ces motifs élémentaires.
(Bas) Grammaire paramétrique modélisant la pièce (S0) comme trois parties (P ) contenant chacune unesection thématique (T ) suivie d’une section de développement (D) et/ou une section d’intensification (I).Chacune des trois sections utilise différement le matériel musical passé en paramètres, x et y.
supplémentaire. Cette modélisation est avec perte, nous ne sommes pas capable de restituertoute la pièce ;
— la modélisation n’est jamais exacte ni régulière : l’algorithme permet d’identifier un aligne-ment entre une dérivation de la grammaire et la pièce jusqu’à une certaine distance. Pour limi-ter l’explosion combinatoire, nous avons introduit des bornes sur chaque production (« 2 »sur la figure 8.15), limitant la distance autorisée entre la dérivation de la production et lesegment de pièce correspondant.
Ce travail ne reste qu’une première approche : la modélisation reste difficile. Nous poursuivronsces pistes en tentant, d’un côté, de relâcher les contraintes pesant sur les éléments locaux, et, del’autre, de favoriser l’émergence de structures à grande échelle.
68 8. Algorithmes d’analyse musicale
9
Développement, visualisation et évaluation
Comment utiliser et évaluer les algorithmes décrits dans le chapitre précédent ? Plusieurs logi-ciels existants ont des fonctionnalités d’analyse, de visualisation ou d’interaction avec des partitions(section 9.1).
Chez Algomus, nous ne cherchons pour l’instant à développer un code de production. Fin 2011,lorsque nous débutions notre travail sur les fugues, j’avais commencé à écrire un code prototype. Cecode a été repris, approfondi et étendu par toute l’équipe pour nos différentes études. Notre code dedéveloppement s’appuie sur la bibliothèque Python music21. Emmanuel Leguy, Guillaume Bagan,Richard Groult et Nicolas Guiomard-Kagan ont particulièrement contribué à ces développements.
Notre souhait est d’arriver à une plateforme logicielle de prototypage d’analyse musicale, per-mettant d’expérimenter différentes techniques, de les tester, de les partager et de les confronter.Pour encoder les éléments analytiques locaux ou globaux discutés dans le chapitre 8, nous avonsainsi formalisé le concept de schéma d’analyse vu comme ensemble de lignes d’analyse groupantdes étiquettes. Nous avons réalisé plusieurs visualisations de ces schémas (section 9.2).
Enfin, la recherche et le développement de nos algorithmes d’analyse musicale se sont accom-pagnés d’un travail d’évaluation par la réalisation de corpus avec des analyses de références, quece soit au sein de l’équipe ou en lien avec des collègues musicologues, ainsi que par une réflexionsur cette évaluation (section 9.3).
Figure 9.1 – Extrait d’une vidéo produite par ly2video de la fugue en Do mineur BWV 847, reprenantles annotations de référence que nous avons encodées [14]. La vidéo complète est disponible à l’adressealgomus.fr/video.
Ce chapitre reprend plusieurs parties d’un article présenté aux Journées d’Informatique Musi-cale 2015 [14] ainsi que des discussions publiées dans le chapitre [20].
70 9. Développement, visualisation et évaluation
9.1 Quelques logiciels existants
Plusieurs logiciels sont destinés totalement ou partiellement à l’analyse, la visualisation etl’édition de partitions.
Analyse musicale. On peut tout d’abord évoquer les travaux pionniers autour du Morphoscope[63], boîte à outils au service d’une analyse manuelle. D’autres suites logicielles sont spécialiséesdans l’analyse, comme Humdrum [74] (collection de scripts appelés en ligne de commande), MIDIToolbox [85] (bibliothèque Matlab), ou, plus récemment, music21 [133] (bibliothèque Python). Deplus, certaines fonctionnalités analytiques sont présentes dans des logiciels qui sont aussi destinésà la composition, comme Rubato (Mazzola) ou OpenMusic [142, 151]. Des outils comme iAnalysesont spécialisés dans l’édition et la visualisation [132]. Enfin, certaines plateformes d’analyse sontdestinées à étudier de la musique électro-acoustique, comme l’Acousmographe [135], EAnalysis [153]et TIAALS [158].
Visualisation de partitions. De nombreux logiciels de gravure musicale existent. Si l’on seconcentre sur les logiciels prenant en entrée une notation symbolique et produisant des parti-tions, on peut tout d’abord citer le logiciel libre Lilypond [186], développé depuis 20 ans et secaractérisant par une très grande qualité typographique ainsi que par une excellente flexibilité.VexFlow [189] est une bibliothèque Javascript pour afficher du contenu musical. Guido [68] pro-pose une bibliothèque C/C++ portable permettant la mise en page et le rendu de partitions. Elleest aussi accessible via un service web REST pour générer en ligne l’affichage de partitions.
Édition et visualisation. INScore [185, 136] est un éditeur de partition augmentée. Il est capabled’animer une partition et de lui ajouter des éléments graphiques (curseur, annotations...). L’ani-mation est considérée comme une « partition interactive » car elle peut être modifiée en tempsréel en interagissant soit via un panneau de contrôle (modification de tempo par exemple) soitdirectement en interprétant une pièce musicale. INScore est interfaçable en python et en pure datavia OSC (Open Sound Control).
Le logiciel iAnalyse d’aide à l’analyse musicale est destiné à la présentation, à l’annotation et àl’analyse musicale [112]. Il permet de synchroniser puis d’annoter manuellement des fichiers imagesde partitions, et de produire à partir de ces annotations une vidéo de l’analyse. Les annotations sontici des symboles graphiques et ne sont pas liées de manière logicielle aux notes de la musique sous-jacente. Enfin, le projet « Écoutes signées » a exploré de nombreuses voies de représentation, demanipulation et de visualisation de partitions avec leurs annotations, en créant des « maquettes »transmettant une « manière d’écouter » particulière [134, 160].
9.2 Modélisation, développement et visualisation
Algomus développe principalement en Python. Notre code a été tout d’abord développé dansle cadre de nos recherches – en particulier pour l’analyse des fugues. Nous avons ensuite essayéd’améliorer sa qualité et réutilisabilité, en commençant par les éléments qui nous semblaient leplus intéressant pour d’autres. Les paragraphes suivant décrivent ces développements en ce quiconcerne la modélisation et la visualisation d’analyses. Le code correspondant directement auxtâches d’analyse musicale est lui toujours un code de prototypage, utilisé en interne. Une de nosperspectives est de fiabiliser et de distribuer une partie de ce code (voir section 10.2).
Modélisation d’analyse : Étiquettes, lignes et schémas. Traditionnellement, l’analysteannote les partitions avec plusieurs symboles graphiques (Fig. 7.2). On peut ainsi voir cette analysecomme un ensemble de calques qui regrouperaient chacun un ensemble de symboles concernant unefacette particulière de l’analyse.
9. Développement, visualisation et évaluation 71
m21.Score
.krn
.mid
.xml...
m21.Scoreavec Labels
Analyses
Analyses deréférence
.ly
.svg
.html
.pdflilypond
.mp4
ansistats
svgweb ly2video
lily
console
.wav .sync
Figure 9.2 – Modélisation et visualisation de schémas d’analyse avec music21. Nous avons étendu music21en proposant un « schéma d’analyse », qui est une partition music21 (Score) annotée avec des étiquettes(Label). La partition peut avoir été créée à partir d’un fichier d’entrée (.krn, .mid, .xml ...), puis analyséeavec les fonctionnalités de music21 ou de n’importe quel autre programme. On peut aussi considérer desanalyses manuelles, par exemple pour des analyses de référence. Nous avons développé plusieurs visualisa-tions de ces schémas : sortie texte pour la console, partition .pdf, schéma .svg, page web .html et vidéo.mp4 [14].
Comment modéliser cette annotation de partition ? Destiné principalement à l’annotation defichiers son, JAMS (JSON Annotated Music Specification) [166] est une proposition récente deformats d’annotation interopérables. Côté symbolique, les formats .krn / Humdrum [74] et MEIont aussi des possibilités d’annotation. Nous avons proposé dans [14] de modéliser une analyse parles éléments suivants :
— l’étiquette (Label) est l’élément analytique de base, correspondant à une annotation gra-phique sur une partition. Cette étiquette peut avoir une durée (motif, section, pédale) ounon (point d’arrivée d’une cadence, autre événement) ainsi qu’un type et d’autres informa-tions ;
— plusieurs étiquettes peuvent se regrouper dans une même ligne d’analyse. Une ligne repré-sente un objectif particulier d’analyse, et peut s’imaginer comme un ensemble de symbolesgraphiques qui seraient sur un même calque. Une ligne peut être attachée à une voix de lapartition (e.g étiquettes pour la voix soprano) ou être indépendante (l’ensemble des marchesharmoniques, ou bien une structuration de la partition). Sur nos représentations des schémas(figures 8.1 et 9.4), les lignes sont visualisées comme alignement des étiquettes ;
— enfin, un schéma est un ensemble de lignes d’analyse concernant une même pièce. Un schémapeut s’imaginer comme une superposition des calques des différentes lignes d’analyse. Leschéma peut représenter une analyse de référence ou bien une analyse produite par ordinateur.
En collaboration avec Guillaume Bagan, Nicolas Guiomard-Kagan, Richard Groult et Em-manuel Leguy, j’ai étendu la bibliothèque Python music21 [133] en proposant un nouveau modulemusic21.schema avec ces principes. Les schémas servent à représenter facilement certains élémentsd’une analyse mais aussi à comparer des analyses entre elles, par exemple lors de l’évaluation d’al-gorithmes d’analyse musicale. Les schémas sont créés par un analyste (voir section 9.3) ou calculésde manière algorithmique par l’implémentation de méthodes telles que celles présentées au chapitreprécédent.
Visualisations des analyses. Principalement grâce au travail d’Emmanuel Leguy, nous avonsproposé plusieurs méthodes de visualisation pour les schémas représentés comme des objets music21(Fig. 9.2) :
— sur partition Lilypond (Fig. 9.3), notamment grâce au projet étudiant de Jonathan Collet,
72 9. Développement, visualisation et évaluation
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Figure 9.3 – Extrait de la partition analysée de la fugue en Do ] majeur BWV 848 de J.-S. Bach, compiléepar Lilypond. Les étiquettes sont affichées au moyen des macros de frameEngraver.ly [188].
Figure 9.4 – Visualisation interactive de la fugue en Si [ majeur BWV 866 de J.-S. Bach (www. algomus.fr/ fugues ). Cliquer sur les étiquettes permet d’afficher et d’entendre les extraits de partition.
— via une page web interactive avec des extraits musicaux produits par les bibliothèques javas-cript music21j et Vexflow (Fig. 9.4),
— ou enfin sur une vidéo produite par ly2video [187]. Dans ce logiciel, développé par Jiří "Fi-reTight" Szabó, Adam Spiers et Emmanuel Leguy, une vidéo, générée à partir d’un fichierLilypond, permet de suivre la partition tout en l’écoutant. Le son provient d’un flux MIDIou d’un enregistrement réel, et ly2video est capable de gérer la synchronisation entre les es-paces graphique (de la partition), temporel (de l’audio) et musical (symbolique). Nous avonsajouté la possibilité de visualiser d’autres images, synchronisées avec la partition. Grâce à cesfonctionnalités, nous avons produit des vidéos d’analyses manuelles ou calculées (Fig. 9.1),et, en collaboration avec l’artiste Zviane, une première animation sur les fonctions harmo-niques (voir section 11.2).
À terme, nous souhaitons proposer une visualisation interactive de ces partitions annotées (voirsection 10.2).
Distribution et valorisation. Le code est développé en licence libre (GPLv3+). Lorsque c’estpossible, nous essayons de faire intégrer ce code aux projets open-source existants. C’est déjà le caspour notre contribution à ly2video 1, et nous cherchons à le faire pour le module music21.schema.Une partie de ce code est déjà librement téléchargeable 2.
1. github.com/aspiers/ly2video2. git.algomus.fr
www.algomus.fr/fugues
www.algomus.fr/fugues
github.com/aspiers/ly2video
git.algomus.fr
9. Développement, visualisation et évaluation 73
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ProutBruhn
Music engraving by LilyPond 2.16.1—www.lilypond.org
Figure 9.5 – Les huit sujets des fugues du premier livre du Clavier bien tempéré de Bach où au moinsdeux sources ont une définition différente du sujet [15]. Les notes entourées montrent les fins possibles desujet, et la note encadrée est le résultat de notre algorithme (voir page 63). Par exemple, sur la fugure enMi [ majeur BWV 852, Prout [29] et Bruhn [62] entendent un sujet qui se termine sur le Si [ (tonique),avec un mouvement cadentiel renforcé par le trille. Keller [35] propose lui de terminer le sujet après lesdoubles-croches, ce qui permet d’être synchronisé avec le début du contre-sujet. Enfin, Charlier [123] a uneapproche motivique, résultant dans des sujets généralement beaucoup plus courts.
9.3 Évaluation et analyses de références
Comment estimer la qualité d’un algorithme d’analyse musicale ? Idéalement, on souhaite dis-poser d’analyses de référence, que ce soit pour les éléments locaux et globaux, et mesurer ainsi laperformance des méthodes proposées.
Ambiguïté de l’analyse musicale. Cependant, il n’existe pas une seule analyse correcte d’unepièce donnée – différentes approches musicologiques peuvent donner différentes analyses tout aussipertinentes. Même des notions a priori simples et fondamentales sont souvent débattues, que cesoit dans des éléments locaux ou globaux, comme dans les deux exemples suivants.
Identification des sujets de fugues. Le sujet est le motif principal d’une fugue autour duquel toutela pièce est construite (section 8.3). Son identification précise est ainsi un des premiers élémentsd’analyse, mais même cette identification peut faire débat. Dans le Clavier bien tempéré de Bach,pour 8 des 24 fugues du premier livre, au moins deux sources musicologiques proposent ainsi uneinterprétation différente du sujet (Fig. 9.5). En effet, si le début du sujet est un événement cognitif
74 9. Développement, visualisation et évaluation
20 60 100 140 180 220
IRISA
AIST
SALAMI (1)
(2)
(3)
#I-|I/C C D/2 A B C D/2 A B C D/2 C0 - #
intro bridge A br. B verse A verse B chorus A br. B verse A verse B chorus A br. B bridge A ending
SilenceIntro Chorus Solo Verse Pre-Chorus Chorus Solo Verse Pre-Chorus Chorus Solo Chorus Silence
S.A B C D E B C D E B C B S.
Sa b a b a b a b c c d d' d e f b' f' g a b a b c c d d' d e f b' f' g a b a b c c a b a b' S
20 40 60 80 100 120 140 160
Isophonics
SALAMI (1)
(2)
(3)
silenceverse verse refrain verse refrain verse_(instr.) verse refrain_with_ending silence
S.Verse Chorus Verse Chorus Interlude Verse Chorus
SilenceA B A B C A B
Sa a a a b b a a' c b b c c a a b b b
Figure 9.6 – Comparaison d’annotations de référence [20]. (Haut) Annotations proposées par IRISA,AIST et SALAMI sur la chanson « Spice of Life », chantée par Hisayoshi Kazato (piste 4 de RWC-MDB-P-2001). Les trois annotations sont globalement concordantes. Cependant, les sections nommées B, Choruspar SALAMI sont nommées C, C, C, and C0 par IRISA et bridge A, chorus A, chorus A, and bridge Apar AIST. Les différents niveaux de l’annotation SALAMI indiquent des fonctions (1), des sections (2)ainsi qu’une segmentation à bas niveau (3). (Bas) Annotations proposées par Isophonics et SALAMI surla chanson des Beatles « Yellow Submarine ». Les deux premiers segments nommés verse par Isophonicscorrespondent à un seul segment A (aaaa) par SALAMI.
significatif, c’est, dans certains cas, moins le cas de la fin du sujet. De plus, a-t-on réellement besoind’identifier toujours des motifs aux bornes claires ? Considérant que l’ambiguïté fait partie de lamusique, Tovey écrit ainsi, à propos de la fugue en Mi majeur numéro 9 (BWV 854) « It is notworthwhile settling where the subject ends and where the countersubject begins. » [30].
Segmentation de musique pop. Nous avons passé en revue dans [20] des analyses de référence desegmentation de pièces, présentes dans les bases de données SALAMI (Structural Analysis of LargeAmounts of Music Information) [145], Semiotic Annotations [164, 150], AIST Annotations [97] etIsophonics [139]. Ces segmentations concernent surtout de la musique populaire, et sont réaliséessur des fichiers audio – mais avec une sémantique ajoutée sur les différentes sections. Si les bordsdes segmentations coïncident généralement (correspondant à la détection de temps forts dans lesfichiers audio), des différences manifestes de sémantique se voient sur la même chanson (Fig. 9.6).
Analyses de référence. Malgré ces difficultés, sur de nombreux points, il peut y avoir unconsensus qui peut servir de vérité de terrain (« ground truth ») pour évaluer les algorithmes.Ainsi toutes nos sources sont d’accord sur la définition du sujet pour 16 des 24 fugues du premierlivre du Clavier bien tempéré. Ces points ne font pas toute l’analyse – ce ne sont que des élémentstechniques qui participent à une analyse. Mais il est déjà intéressant de pouvoir disposer de cesanalyses de référence – ou mieux, de plusieurs analyses – sous forme informatique.
Les schémas d’analyse peuvent ainsi être donnés par un format texte encodant des analysesde référence (Fig. 9.7), format ensuite traduit dans nos objets music21.schema. La syntaxe dece format a été conçue pour faciliter une saisie musicologique. Les repères temporels peuventainsi être entrés en mesure, temps, ou bien en fraction de mesures, ou en se servant de repèreslogiques. À ce jour, nous avons dans ces analyses de référence plus de 1 800 annotations encodéespar 9 personnes (Tab. 9.8). Ces annotations recouvrent des indications de motifs, de structures, decadences et de texture. Ces fichiers sont progressivement mis a disposition de la communauté souslicence libre (www.algomus.fr/datasets).
Évaluations quantitatives et qualitatives. En supposant qu’une analyse de référence estdisponible, comment mesurer l’efficacité d’un algorithme ? Comme il n’y a pas qu’une seule analysecorrecte, on ne pourra évaluer que ce qui est attendu par rapport à tel ou tel modèle ou présupposé.Les étudiants en analyse musicale sont bien eux évalués, à la fois sur des points formels ou techniqueset aussi sur leurs commentaires esthétiques. Les algorithmes doivent aussi l’être, même si cetteévaluation soulève quelques difficultés.
www.algomus.fr/datasets
9. Développement, visualisation et évaluation 75
== S [length 4 start +1/8] == CS1 [length 3 start -1/4]S 1, 13, 37 S 6, 23, 42A 5, 22, 41 A 10, 27, 38T 9, 26 T 14
== S-inc [base S length 2] == CS1-inc [base CS1 length 1]A 35 S 36
== cadences == CS2 [length 3 start -3/16]* 17 (V:rIAC) S 10, 27* 48 (I:PAC) A 14
T 23, 38, 42
== CS2-inc [base CS2 length 1]T 36
Figure 9.7 – Nos annotations de référence sur la fugue en Si [ majeur BWV 866 de J.-S. Bach, réaliséesà partir de plusieurs sources dont [62] et [29]. Ce jeu d’annotations de référence encode l’ensemble deséléments présentés en section 8.3 : motifs (sujets (S), contre-sujets (CS1 and CS2)), dont des entréesincomplètes (S-inc, CS1-inc, CS2-inc). La position de chaque occurrence est indiquée par le numéro demesure (5 est le premier temps de la mesure 5), mais le début effectif du motif peut être après cetteposition logique (une croche après pour S (+1/8), une noire avant pour CS1 (-1/4), trois double-crochesavant pour CS2 (-1/16). Les annotations donnent aussi les cadences parfaites (PAC et rIAC) aux tons dela tonique (I) et de la dominante (V). La visualisation de ces annotations (www. algomus. fr/ fugues ) estanalogue à celle de la figure 8.1.
Si la plupart de nos articles contiennent des expériences et des évaluations, nous avons discutéplus en détail des méthodologies d’évaluation dans notre revue sur la forme et la segmentation [20]ainsi que dans notre étude sur la séparation de voix [17] :
— L’évaluation peut d’abord être un ensemble de mesures quantitatives. À côté des mesureshabituelles en classification telles que la sensibilité et la spécificité, d’autres mesures peuventêtre utilisées, comme par exemple des mesures d’entropie pour la segmentation [115], me-sures que nous avons étendues à l’évaluation d’algorithmes de séparation de voix [17]. Selonl’application, il faut déterminer sur quels éléments portent ces mesures. Quelques difficultésproviennent de la nature même des données musicales, se déployant dans le temps : certainséléments d’analyse (formalisés par des Label dans nos schémas) sont ponctuels, d’autresont une durée. Décompte-t-on le nombre de motifs détectés, ou bien la proportion, dansle temps, de la partition correctement analysée ? Autorise-t-on une détection approximativedans le temps ? Se focalise-t-on sur les frontières des motifs ?
— L’évaluation peut aussi être plus subjective, par un ou plusieurs experts, sur la qualité durésultat global de l’algorithme (est-ce que mon ordinateur est un bon analyste ?). Ce typed’évaluation est particulièrement nécessaire lorsque l’objectif de la méthode est une analyseglobalisante, calculant un ensemble d’éléments structurés comme dans ce que nous essayonsde faire sur les fugues ou les formes sonates. Par exemple, notre analyse des fugues inclutun jugement expert sur chaque résultat (« bon », « correct », « mauvais »), qui, même s’ilrepose sur des conseils, laisse une certaine latitude d’interprétation.
www.algomus.fr/fugues
76 9. Développement, visualisation et évaluation
Fugues – ISMIR 2012 [3], CMMR 2012 [5], Computer Music Journal 2015 [15]36 fugues (Bach, Shostakovitch)1020 annotations : thèmes S/CS/CS2, pédales, cadences
Variations – CMMR 2013 [6]4 thèmes et variations (Mozart, Beethoven)35 annotations : occurrences variées
Texture – ISMIR 2014 [10] + en cours10 mouvements (Haydn, Mozart, Schubert)691 annotations : mélodies, accompagnements, homorythmies
Formes sonates – JIM 2014 [9] + en cours11 mouvements (Haydn, Mozart, Schubert)67 annotations : structure P(T)S(C)/Dev/P(T)S(C)
Table 9.8 – Analyses de références produites par Algomus et ses collaborateurs. Ces analyses, dont unepartie est disponible à partir de www. algomus. fr/ datasets , ont été en particulier effectuées et encodéespar E. Cambouroupoulos, K. Deguernel, F. Doé de Maindreville, M. Giraud, R. Groult, E. Leguy, F. Levé,F. Mercier et M. Rigaudière.
www.algomus.fr/datasets
10
Perspectives
Le projet de recherche d’Algomus, que je porte avec toute l’équipe, est de calculer des élé-ments locaux d’analyse et les synthétiser dans des analyses « complètes » de pièces musicales, serapprochant le plus possible d’analyses musicologiques (section 10.1).
L’analyse musicale par ordinateur, qu’elle soit automatique ou semi-automatique, nécessite descollaborations et, à terme, des chercheurs mieux formés aux deux domaines [90, 126]. Ces recherchesstimulent à la fois l’informatique musicale, soulevant des questions de modélisation et d’algorith-mique, que cela soit dans la production d’éléments d’analyse isolés ou dans celle de synthèses, etposent aussi de nouvelles questions à la musicologie. Nous continuerons ainsi à travailler avec desthéoriciens de la musique pour tenter de modéliser et d’algorithmiser certains concepts musicaux.
Cette recherche s’accompagne d’un effort de développement et de médiation pour donner auxmusiciens et au grand public des outils permettant de visualiser, éditer ou discuter l’analyse mu-sicale (section 10.2).
10.1 Algorithmique musicale
Analyse locale. Pratiquement l’ensemble des éléments locaux évoqués au chapitre 8 mériteraientd’être retravaillés. La notion même de motif musical , pourtant étudiée depuis de nombreuses années(section 8.2.1), gagnerait à prendre en compte le contexte musical. En effet, les diverses répétitionset transformations d’un motif peuvent mieux s’interpréter vis-à-vis de leur contexte. Par exemple,dans une fugue, on s’attend à trouver le sujet complet dans les expositions et incomplet dans lesépisodes (occurrences marquées « h » dans nos schémas tel que celui de la figure 8.1). Nous aurionsaussi intérêt à étendre des techniques que nous avons développées pour l’analyse de fugue (commela détection de marches harmoniques) à d’autres répertoires. Dans les prochaines années, noussouhaitons nous focaliser sur les points suivants :
— Cadences et progressions harmoniques. Les cadences sont des progressions harmoniquesparticulières qui marquent les fins de phrases musicales et les transitions entre les partiesd’une pièce. Des études musicologiques récentes se consacrent aux cadences [180], mais ontrouve peu de travaux algorithmiques tentant de modéliser ces progressions [72, 128, 156]. Àl’heure actuelle, seuls quelques algorithmes permettent de reconnaître des cadences simplesde type cadence parfaite ou imparfaite, comme ce que nous avons fait dans les fugues, ense basant sur le contenu des accords et les mouvements de basse (voir page 63). Les outilsdes musicologues pour traiter des progressions plus complexes nécessitent une grande partde traitement manuel [125].Je travaille sur ce sujet avec Florence Levé et Richard Groult. Notre approche sera de mê-ler règles explicites et règles apprises sur des corpus. Ce sujet est le cœur d’une nouvellecollaboration avec le conservatoire d’Amiens, pour laquelle nous avons rédigé une soumis-sion commune d’un projet région Picardie « Cadences » porté par F. Levé. Nous travaillons
78 10. Perspectives
aussi sur la visualisation et la représentation de ces progressions, en particulier avec Zviane,dessinatrice de BD et compositrice québécquoise (voir section 11.2).
— Polyphonie et texture. Dans sa thèse, Nicolas Guiomard-Kagan travaille sur des donnéespolyphoniques [17] et cherche à réaliser une analyse de fugues sur des données non séparéespar voix. Nous souhaitons aussi approfondir nos travaux sur la texture [10], en identifiantdes textures remarquables dans une partition. Ce sujet est plus particulièrement porté parFlorence Levé, en collaboration avec deux musicologues, Florence Doé de Maindreville etMarc Rigaudière. Un travail a commencé en 2015 pour, d’un côté, mieux modéliser la texturedans des quatuors à cordes classiques, et de l’autre, rechercher de nouveaux algorithmes pouridentifier certaines textures, comme par exemple l’imitation. Nous envisageons aussi un travailavec Emilios Cambouropoulos sur une approche complémentaire : peut-on d’abord segmenterune polyphonie, en utilisant les algorithmes tels que [117] (Fig. 8.7) puis en classifiant lessegments selon leur texture ?
Analyse globale. Que cela soit dans l’analyse de formes connues ou dans celle utilisant des prin-cipes schenkériens, nous ne sommes qu’au début des recherches dans ce domaine de l’informatiquemusicale. Nous rejoignons l’affirmation de Anja Volk et de ses collègues [147] :
« The integration of isolated components of music into a holistic model of musicalstructure through computational modelling is a challenge for future research. »
Analyser correctement une forme musicale, même simple, reste un défi de modélisation etde calcul. En 2011, nous avons commencé à travailler sur les fugues parce que leur structure estrelativement codifiée. Nous avons depuis réussi à proposer un pipeline d’analyse quasi-automatiquequi fonctionne dans une majorité de cas (page 63). Dans les prochaines années, une partie du travailsera d’améliorer cette analyse des fugues. Mais nous souhaitons avant tout aller vers l’étude deformes plus complexes. Le projet central d’Algomus pour les prochaines années est ainsi l’étude desformes sonates (voir page 65). Bien que ces formes s’inscrivent dans une théorie générale [98], ellesont de nombreuses variations. Nous poursuivrons et approfondirons le travail débuté en 2014 qui apermis, pour l’instant, de localiser de manière approximative le couple exposition/réexposition [9].
La stratégie pour analyser de telles formes est toujours de combiner expertise et apprentissage,et de s’appuyer sur les éléments locaux – motifs, cadences et progressions, textures – pour faire uneanalyse globale. Nous développerons ainsi les modèles grammaticaux et les modèles statistiquescomme le modèle de Markov proposé en partie 8.3, comme nous avons commencé à le faire avec lestage de Matthieu Caron. Plusieurs modèles probabilistes pour analyser ou générer la musique ontdéjà été proposés [80, 82, 107]. De notre côté, les éléments de base de ces modèles ne seront pas lesnotes mais les éléments d’analyse locale. Ce travail est celui de toute l’équipe, mais en particuliercelui de Richard Groult et Pierre Allegraud, en collaboration avec des collègues musicologues (MarcRigaudière).
Structures de données et algorithmes adaptés aux données musicales. Les données departitions musicales ont intrinsèquement plusieurs dimensions : hauteur et temps. Afin de réussirnos objectifs d’analyse, nous développerons de nouvelles représentations, séquentielles, géomé-triques, arborescentes ou grammaticales, pour traiter efficacement et convenablement les donnéesmusicales et obtenir des complexités en temps permettant une application sur des partitions réellesvoire sur des corpus entiers. Ce travail se fera en particulier sur la recherche de textures (voirpage 60) et sur la reconnaissance et l’apprentissage de grammaires paramétrées (voir page 66). Plusgénéralement, nous essaierons de trouver de nouvelles structures d’indexation et des méthodesde fouille de données capables de répondre efficacement à nos principaux défis de recherche demotifs, d’accords et de texture.
10. Perspectives 79
10.2 Développement et objectifs sociétaux
— Nous souhaitons proposer une meilleure interaction avec les schémas d’analyse en développantune application web interactive pour visualiser la partition annotée. Le but n’est pasde réaliser un éditeur de partitions (tâche très complexe, demandant tout un travail eninterface comme en typographie musicale), mais bien un éditeur d’analyses. La navigationdans la structure de la pièce sera facilitée et le focus sur certains éléments de l’analyse pourraêtre fait par l’auditeur. Nous cherchons ainsi à implémenter une édition collaboratived’analyse musicale pour confronter ou comparer ses propres annotations à d’autres, manuellesou automatiques. Une telle visualisation interactive renforcera nos liens avec musicologues,artistes et grand public. Ce point est porté par Emmanuel Leguy au cours de l’année 2016.
— À plus long terme, nous aimerions progressivement fiabiliser et distribuer une partie du codedéveloppé par Algomus pour arriver à une bibliothèque d’outils utilisables par d’autres. Cesmodules pourraient soit être directement appelés par l’application web (avec une architectureclient/serveur), soit être téléchargeables pour être réutilisés dans le cadre de music21. Nousmènerons aussi une réflexion sur les formats d’analyse (tels que ceux proposés par MEI,voir page 50) pour permettre une interopérabilité entre outils. Nous envisageons d’ailleurs decollaborer avec des collègues de plusieurs laboratoires (IRCAM, IreMus, CNAM, GRAME)sur un projet de recherche autour d’une bibliothèque de partitions enrichie d’outils d’analyse.
Enfin, nous continuerons à mener des actions de médiation et de nouveaux projets artistiques(voir le chapitre suivant) :
— Nous approfondirons le lien avec certains artistes (V. Béland, Zviane) autour de projetsartistiques impliquant l’analyse musicale informatique. L’aspect génératif de nos mo-dèles pourra aussi être développé. Nous pourrons entamer de nouvelles collaborations artis-tiques, du moment qu’elles concernent au moins partiellement le traitement des partitionsmusicales. Nous chercherons aussi à renforcer nos liens avec les conservatoires, dansun objectif à la fois de médiation et de participation des professeurs et étudiants à nos re-cherches. Nous travaillerons particulièrement avec le conservatoire d’Amiens, avec lequel leMIS signera bientôt une convention.
— Nous préparerons des actions pour partager nos recherches avec le grand public, en ex-pliquant à la fois le côté informatique (modélisation, algorithmes) et le côté musical. Noustravaillerons sur la pédagogie du répertoire dit « classique » (baroque/classique/romantique),et nous démontrerons aussi nos résultats sur des répertoires plus actuels. Nous développeronsen particulier l’atelier des pierres musicales (chapitre suivant, page 85).
80 10. Perspectives
Coda
82 10. Perspectives
11
Médiation scientifique et artistique
« La médiation scientifique concerne toutes les actions à destination de publics sortantdu cercle professionnel habituel des chercheurs : enfants et jeunes, curieux de la science,grand public, décideurs politiques et partenaires sociaux-économiques. La médiation faitintervenir le chercheur, source du contenu scientifique. Pour démultiplier notre messagescientifique, certaines activités de médiation impliquent aussi d’autres personnes : pro-fessionnels de la communication et des médias (nationaux ou de proximité), enseignantset autres médiateurs. »
Ces propos sont issus d’un groupe de travail national que j’ai animé en 2010 (voir ci-dessous,page 87), s’inscrivant notamment à la suite de la démarche de collègues impliqués dans la médiation(Thierry Viéville). Je décris ici les ateliers participatifs en bioinformatique et en musique auxquelsj’ai contribué (section 11.1). Algomus est aussi engagé dans la médiation artistique (section 11.2).
Figure 11.1 – Actions de médiation scientifique. Habillage des « puzzles du génome », design par MarcPeyret Imagineur / Inria (2007). Assemblage d’ADN, au Palais de la Découverte, avec Mikaël Salson(2010). Structures secondaires d’ARN, avec Maude Pupin (SciencesOPark, Lille, 2007). « Compter lesglobules blancs », alignement collectif d’ADN au Plateau Inria (Euratechnologies) avec des élèves suivantla spécialité ISN (2015).
84 11. Médiation scientifique et artistique
Pierre Audin, Jean-Frédéric Berthelot, Samuel Blanquart, Ségolène Caboche, Rayan Chikhi, Marc Duez,Yoann Dufresne, Arnaud Fontaine, Mathieu Giraud, Benjamin Grenier-Boley, Isabelle Guigon, SylvainGuillemot, Robin Jamet, Stéphane Janot, Jesper Jansson, Gregory Kucherov, Alan Lahure, DominiqueLavenier, Maxime Labat, Aude Liefooghe, Alban Mancheron, Antoine de Monte, Laurent Noé, LouiseOtt, Aïda Ouangraoua, Pierre Peterlongo, Grégory Ranchy, Élodie Retout, Guillaume Reuiller, TatianaRocher, Azadeh Saffarian, Mikaël Salson, Hélène Touzet, Anne-Sophie Valin, Jean-Stéphane Varré,Christophe Vroland...
Table 11.2 – De 2004 à 2015, plus de 40 bioinformaticiens et médiateurs scientifiques ont animé à uneoccasion ou une autre l’atelier les « puzzles du génome » et ont participé à son évolution. Merci pour leurenthousiasme, et mes excuses à celles et ceux que j’aurais pu oublier.
11.1 Ateliers à la rencontre du public
Ateliers de bioinformatique. La bioinformatique est une excellente opportunité pour trans-mettre des notions théoriques d’informatique à tous les publics. Avec certains supports, on peutintroduire et faire comprendre des problèmes d’algorithmique du texte et de complexité, tout ense rattachant à des enjeux sociétaux sur le vivant et la médecine.
— Les puzzles du génome. (http://cristal.univ-lille.fr/~giraud/puzzles) Cet ateliergénéraliste sur la bioinformatique a tout d’abord été conçu en 2005 durant ma thèse à Rennes(ancienne équipe Symbiose, Jacques Nicolas). J’ai continué d’étendre cet atelier en arrivantà Lille, avec plusieurs collègues de Bonsai (alors Sequoia). L’atelier a évolué et s’est pro-gressivement professionnalisé, notamment grâce au soutien et aux conseils du service decommunication d’Inria Lille (Marie-Agnès Énard). En 2007, à l’occasion de SciencesOPark,un événement pour la fête de la science organisé sur le nouveau parc de la Haute-Borne,Marc Peyret, designer, a réalisé un nouvel habillage graphique et nous a aidé à réfléchir àl’ensemble de la scénographie. En 2010, une présentation durant deux mois au Palais de laDécouverte a été l’occasion de faire encore évoluer l’atelier, en collaboration avec les équipesdu Palais (Sylvain Lefavrais) et les médiateurs titualaires ou stagiaires du Palais (PierreAudin, Guillaume Reuiller, Maxime Labat).
Ces puzzles concernent actuellement trois jeux : l’assemblage de fragments d’ADN, la re-cherche de structures secondaires d’ARN, et la reconstruction d’arbres phylogénétiques entredes séquences de différentes espèces (Fig. 11.3). Chacun des jeux est décliné en trois « ni-veaux » pour introduire progressivement des concepts algorithmiques ou biologiques. Lepremier niveau est, d’un point de vue combinatoire, très facile, pour pouvoir introduire lesobjets biologiques. Les niveaux suivants ajoutent des difficultés combinatoires ou biologiques.
Bien que le support n’ait plus évolué depuis 2011, ces puzzles sont toujours fréquemmentutilisés par l’équipe Bonsai lors de présentations pour des événements de médiation ou lorsde séances avec des lycées ou des étudiants organisées par ou avec des collègues scientifiquesou communiquants (Marion Blasquez, Caterina Calgaro, David Coupier, Alice Decarpigny,Marie-Agnès Énard, Éric Wegrzynowski, Hélène Xypas). L’atelier peut être animé par uneseule personne. Nous préférons cependant être deux ou trois, pour, après une présentation in-troductive, maximiser les échanges avec des sous-groupes du public sur les différents jeux. Endix ans, ces jeux ont été présentés à plus de 3 000 personnes, grâce aux interventions de nom-breux doctorants, chercheurs, médiateurs et ingénieurs à Rennes, Lille et Paris (Tab. 11.2).Mikaël Salson et Maude Pupin sont particulièrement actifs en médiation et se servent despuzzles, mais plusieurs collègues de Bonsai nous rejoignent à chaque événement.
— Compter les globules blancs. En 2013, Mikaël Salson, Marc Duez et moi avons fait un exposéinterne au centre Inria sur notre projet Vidjil. Nous avons depuis développé quelques idéesd’interaction avec le public dans un atelier autonome sur l’immunologie et la bioinformatique.Cet atelier est beaucoup plus spécifique, expliquant le contexte de Vidjil ainsi que quelques
11. Médiation scientifique et artistique 85
Figure 11.3 – Les puzzles du génome : assemblage d’ADN, structure d’ARN.
éléments d’algorithmique. Nous parlons ainsi de recombinaison V(D)J et d’alignement deséquences (figure 11.1, en bas à droite). Même le cœur de notre algorithme, la reconnaissancepar k-mots, peut être expérimentée de manière ludique par un groupe de participants. Cetatelier a pour l’instant touché 200 lycéens lors de diverses présentations.
Ces deux ateliers se présentent à l’occasion de « stands » ouverts lors d’événements (fête de lascience, rencontre avec des étudiants) ou en situation plus cadrée, dans une classe ou une conférence(entre 1h à 1h30 avec introduction, jeux et conclusion, voire entre 2h30 et 3h en enchaînant lesdeux ateliers).
Les ateliers s’adressent à tous publics. Nous sommes particulièrement habitués à interagir avecdes classes de lycée. Les puzzles font directement écho à certaines notions abordées en SVT (celluleet ADN, hérédité, phylogénie), en mathématiques (puissances et logarithmes, dénombrement),et évidemment aux notions algorithmiques et de programmation de la nouvelle spécialité ISN.J’aime aussi évoquer des notions plus avancées (distances, distance d’édition, k-mots, complexitéasymptotique, recherche dans un dictionnaire, indexation) qui éveillent l’intérêt du public.
Les pierres musicales. (http://www.algomus.fr/pierres) Nous avons entamé chez Algomusen 2013 une réflexion pour créer un atelier de médiation. Les concepts d’analyse musicale sont peuconnus du grand public – et même d’une partie des musiciens ! De plus, nous travaillons non passur des fichiers son, mais sur un objet relativement conceptuel, la partition. Comment parler denos recherches, alors que la plupart de nos visiteurs ne sont pas lecteurs de partitions ?
Les recherches en perception de la musique ont montré que la plupart des personnes, mêmenon lectrices de musique, savent reconnaître et classifier des extraits musicaux suivant certainesnotions théoriques. Nous avons donc souhaité créer un atelier qui soit d’abord à destination desnon-musiciens – même si des musiciens peuvent bénéficier de leurs connaissances pour accéder àun autre niveau de compréhension – mais de tout de même garder notre focus sur la partition.Le choix a été de réaliser un dispositif interactif où le participant puisse visualiser, manipuler etécouter des notes ou des partitions.
Le développement des « pierres musicales » est un projet d’équipe, porté par Florence Levé,Richard Groult, Emmanuel Leguy et moi, avec des contributions de David Durand, Marion Giraud,Nicolas Guiomard-Kagan, Ophélie Hérouart, Nathan Marécaux et Hervé Midaine. Un premierprototype, appelé « tapis musicaux », a été réalisé en 2014, à l’occasion d’un stage de NathanMarécaux, étudiant L3 électronicien. Un tapis de quatre emplacements identifie des pièces RFIDet permet de jouer du son. Le circuit avec les antennes RFID est relié à un Arduino contenu dansun PCDuino. Le premier jeu réalisé est une dictée musicale (reconstruire une mélodie à partir defragments ou de notes).
L’atelier en lui-même porte sur un contenu musical plus qu’informatique, mais permet d’intro-duire la modélisation de la musique : nous pouvons littéralement prendre des notes ou des extraits
86 11. Médiation scientifique et artistique
Figure 11.4 – Prototype des « tapis musicaux », lors de la fête de la science 2014 à Amiens.
de partitions, les écouter, les comparer, les classifier, et expliquer à la fois des notions d’analyse etdes notions calculatoires d’informatique musicale.
Les tapis ont pour l’instant été manipulés par 500 personnes, principalement des scolaires.Nous souhaitons à la fois évoluer en qualité (nouveaux jeux, professionalisation du design, del’électronique, de la production) et en quantité (pour toucher 5 000 personnes sur les 4 ans àvenir). En 2015-2016, nous travaillons ainsi à un second prototype, avec deux objectifs :
— Technique et design. Hervé Midaine (ingénieur électronicien de l’UPJV, à Amiens) conçoit uncircuit électronique plus robuste, permettant de gérer jusqu’à 4⇥ 4 antennes RFID. OphélieHérouart, de l’École Supérieure d’Art et de Design d’Amiens, effectue un stage sur le designde l’ensemble de l’atelier, en collaboration avec le FabLab d’Amiens. Elle propose une nouvelleconception du support et des pièces qui seront désormais des pierres musicales ainsi qu’unhabillage graphique.
— Conception de jeux d’analyse musicale. Toute l’équipe Algomus souhaite concevoir des jeuxplus proches de nos thématiques de recherche. Dès 2016, nous prévoyons de développer desjeux de classification sur la similarité de mélodies ainsi que sur les progressions harmoniques.À plus long terme, nous souhaitons réaliser des jeux sur la structuration à grande échelle, enlien avec nos thématiques d’analyse globale.
Le prochain prototype sera présenté en avril 2016, à l’occasion des journées Connexions àAmiens. Nous souhations obtenir pour 2017 un matériel relativement autonome, utilisable enconservatoire, en école de musique, mais aussi en milieu scolaire, et nous prévoyons des présenta-tions à Lille, à Amiens et dans la région Nord-Pas-de-Calais–Picardie.
Réflexions communes. Le but de ces ateliers est de susciter des vocations pour l’informatiqueet pour les sciences en général... et tout simplement parler de science, et de faire, comme disaitGilles Kahn, que des « étincelles s’allument dans les yeux ». C’est aussi l’occasion échanger surdes sujets sociétaux importants comme celui de la médecine personalisée, y compris des sujetsd’éthique sur la protection de la vie privée.
Manipulation physique. J’ai souhaité que l’interactivité de ces ateliers repose sur une mani-pulation physique. Pour chacun de ces ateliers, nous aurions pu développer une application web etmobile réalisant peu ou prou les mêmes fonctionnalités. Mais le fait que les objets biologiques oumusicaux soient représentés en bois ou en résine provoque une certaine expérience sensorielle : tou-cher, déplacer, classifier ou trier des objets physiques facilite l’intériorisation d’aspects calculatoiresd’analyse et de manipulation de données. La manipulation physique favorise ainsi la participationactive du public, directement pour les puzzles du génome ou les pierres musicales (les jeux sont du-pliqués afin que, dans une classe, tous ou presque tous manipulent à tour de rôle), ou en groupe pourl’atelier « compter les globules blancs » (distribution de séquences à tous, alignement collectif).
11. Médiation scientifique et artistique 87
Qualitatif et quantitatif. Pour être efficace tout en proposant une activité de qualité, il estessentiel d’être quantitatif, de viser la démultiplication de nos actions [8]. Nous avons créé uncontenu réutilisable, que ce soit pour les puzzles du génomes ou les pierres musicales. Toucher100 personnes de plus ne demande maintenant qu’une demi-journée à un, deux ou trois intervenants,alors que la conception ou l’évolution d’un atelier demande des dizaines et même des centainesd’heures de travail. Ce n’est pas moi qui ai directement rencontré les quelques milliers de personnestouchées par les puzzles du génome : la participation des équipes Symbiose, Bonsai et Algomus etdu Palais de la Découverte a été indispensable.
Le qualitatif vient bien sûr de la conception de l’atelier, mais surtout de la rencontre directeentre le participant et le médiateur, la doctorante, l’ingénieur ou la chercheuse. Si le jeu est ca-dré, le discours est beaucoup plus libre : les ateliers sont l’occasion de rencontrer l’intervenant etd’échanger sur son parcours et ses thématiques de recherche ou de développement.
Transmettre son domaine, transmettre ses recherches. Nous acceptons que la médiation soitd’abord sur le domaine, avant d’être sur ses propres recherches. Les puzzles du génome portenten partie sur de l’alignement d’ADN, ce qui ouvre la porte à des discussions qui couvrent unegrande partie des recherches de Bonsai. Les pierres musicales introduisent les notes, les mélodies,et prochainement les accords, et facilitent ainsi tout discours musical ou d’informatique musicale.
Évaluation. En 2011 – 2012, alors que j’étais membre élu de la Commission d’Évaluation (CE)Inria, j’ai coordonné un groupe de travail sur l’évaluation de la médiation scientifique. Commentaméliorer l’identification de ces activités afin d’inciter les collègues qui le souhaitent à s’y investir ?Notre principale réalisation est le document « Éléments pour une auto-appréciation des activitésde médiation scientifique » [4] 1. Ce court document propose quelques clés de lecture d’activitésde diffusion scientifique – non pas dans le but de normaliser, mais bien pour aider les collègues àdécrire et à valoriser leurs activités de médiation.
Perspectives. Dans l’avenir, je souhaite continuer à développer ce type de projets collaboratifs,en particulier celui sur les pierres musicales. Outre les questions de pédagogie, ces projets soulèventaussi de nouvelles questions de recherche sur la modélisation et sur la perception. Enfin, je suisprêt à intervenir comme conseil et soutien auprès de collègues qui voudraient créer leurs atelierssur leurs domaines et idées.
11.2 Projets arts et science
Algomus souhaite partager l’analyse musicale avec le plus grand nombre, ce qui passe déjà parles visualisations des schémas d’analyses présentées en section 9.2. Depuis 2015, nous collaboronsaussi à deux projets combinant sciences et arts. Le but principal n’est pas ici de faire passerun message musical ou scientifique, mais de contribuer à une proposition artistique. Ces projetsnaissants, lieux de dialogues pluridisciplinaires, se poursuivront les prochaines années.
Zviane. Zviane est dessinatrice de BD et musicienne québécoise. Zviane a suivi des études decomposition musicale et d’analyse, notamment avec Luce Baudet, de l’Université de Montréal.La musique occupe une place importante dans sa vie et dans ses bandes dessinées, comme dansses albums « Les deuxièmes » et « Ping-Pong » (éditions Pow-Pow). Zviane est particulièrementsensible à l’analyse harmonique et à son rôle dans la construction de la musique. En 2010, elle avaitproposé une première représentation des fonctions harmoniques sous formes de bonhommes.
1. http://www.inria.fr/institut/organisation/instances/commission-d-evaluation
88 11. Médiation scientifique et artistique
Après une invitation de Zviane à notre séminaire, début 2015, nous avons continué notre col-laboration, notamment au cours d’une visite que j’ai effectué à Montréal. Zviane et moi avonsréalisé une animation des fonctions harmoniques dans le début d’une sonate pour piano de Mo-zart (Fig. 11.5). Cette réalisation a demandé à la fois un aspect technique (synchronisation desvidéos par rapport au temps musical, en s’appuyant sur le travail fait par Emmanuel Leguy dansly2video) et des réflexions sur la modélisation et l’encodage des fonctions harmoniques, en lien avecnotre projet de recherche sur la détection des progressions harmoniques.
Figure 11.5 – Mozart et les fonctions harmoniques, http: // youtube. com/ watch? v= QvE00Rfe8wQ
J’étais heureux de faire rencontrer un univers graphique original avec nos thématiques de re-cherche. Nous souhaitons poursuivre cette collaboration pour étendre ce film et réaliser de nou-velles animations illustrant de manière artistique et ludique d’autres éléments d’analyse musicale...À terme, nous aimerions produire automatiquement ou semi-automatiquement ces vidéos, en cou-plant nos outils d’analyse et des outils comme ly2video.
Projet réalisée avec le soutien de l’axe « Arts, Sciences et Technologies » (Laurent Grisoni) duprojet « Sciences et Cultures du Visuel ».
Véronique Béland. Nous débutons une collaboration avec Véronique Béland, artiste plasti-cienne, sur « As we are blind », qui est une « installation interactive pour aura et piano méca-nique » dont les premières présentations sont prévues fin 2016. V. Béland travaille sur « l’effortpour construire des images claires à partir d’impressions confuses » :
« Ma recherche s’est graduellement précisée vers un désir de pointer des processus apriori invisibles ou inaudibles, comme un besoin d’ausculter différents types de silencesou de vides pour en relever le contenu. Par diverses astuces de traduction ou de transco-dage, je cherche à créer des points de contact entre le visible et l’invisible, entre l’audibleet l’inaudible. »
Dans cette installation, le spectateur posera sa main sur un capteur mesurant quelques para-mètres (conductance, température, sudation et rythme cardiaque), paramètres qui seront transfor-més en « aura » visuelle ainsi qu’en une musique jouée par un piano mécanique. Richard Groult,Emmanuel Leguy et Sławek Staworko et moi allons ainsi travailler sur la génération de musique àpartir de l’analyse d’un matériau fourni par le composieur Quentin Denival. Ce projet contiendraune partie technique (vacations à venir en 2016 de Guillaume Libersart, intégration d’outils d’ap-prentissage et lien avec notre code) et une partie recherche (analyse haut-niveau puis générationsur le matériel musical).
Projet soutenu par un « Bonus recherche Expériences Interactives » Pictanovo pour 2016-17.
12
Bilan
J’ai déjà exposé, dans les chapitres 6 et 10, les perspectives de chacun des deux projets. Travaillersur deux projets aussi différents fait nécessairement se poser la question du focus d’ensemble. Début2016, je me sens bien plus focalisé que je n’ai pu l’être il y a quelques années, les deux projets étantchacun bien défini et ayant des perspectives passionnantes. J’ai envie de continuer à m’investirscientifiquement dans ces deux projets, même si évidemment leurs situations sont différentes.
L’activité autour de Vidjil, déjà bien mature, a vocation à être un jour pérennisée et doncau moins en partie transférée. Comment continuer les travaux théoriques, et accompagner le dé-veloppement et l’extension de Vidjil, au-delà de Bonsai et de nos premiers collègues lillois ? Pourl’informatique musicale, l’objectif est à la fois de découvrir de nouveaux algorithmes d’analyse musi-cale et de mener des projets à la croisée de l’art et de la science. Comment rendre cette activité plusmature et renforcer l’équipe naissante Algomus ? Aux questions scientifiques s’ajoutent des défis definancement et de structuration, avec de nouvelles opportunités rendues possible par la création denotre université, l’Université de Lille, ainsi que notre nouvelle région Nord-Pas-de-Calais–Picardie.
Hématologie et musique, séquences d’ADN ou séquences de notes... dans mon parcours acadé-mique, le lien entre ces deux domaines s’est fait sur la conception et l’utilisation d’algorithmiquedu texte. Dès les années 1990, certaines publications MIR de référence ont été faites par desbioinformaticiens [60]. Chez Algomus, nous continuons, en partie, à nous inspirer de techniquesbioinformatiques pour proposer de nouveaux algorithmes d’analyse. Les objets et les finalités étantdifférents, je ne souhaite cependant pas imaginer de ponts artificiels entre les deux domaines, maisplutôt réfléchir maintenant aux démarches communes à ces études transdisciplinaires.
Recherche appliquée. Au fond, derrière des objectifs techniques, quantifiables – compter lesglobules blancs, analyser les partitions – dans ces deux projets, nous cherchons une meilleurecompréhension du monde qui nous entoure, que ce soit une réalité biologique (comprendre lesystème immunitaire) ou artistique et sociale (comprendre la musique). Nous essayons de proposerdes modélisations du système immunitaire ou de la structure musicale pour répondre à des questionsde recherche propre à chaque domaine. Que ce soit chez Bonsai ou chez Algomus, nous publionsune partie de nos travaux dans des revues et conférences du domaine d’application, ce qui demandeen particulier des évaluations propres à chaque métier.
Au final, l’impact sociétal appliqué de mes travaux sera ainsi que notre plateforme Vidjil soitévaluée et utilisée par des hématologues et immunologistes, et que les travaux d’Algomus serventà mieux illustrer, communiquer et interpréter la musique. Dans cet objectif, l’expert du numé-rique doit aujourd’hui comprendre finement les objets du domaine d’application et proposer desméthodes qui sont idéalement transparentes pour l’expert du domaine... Par nos méthodes, nosdéveloppements logiciels et notre travail sur les données, pouvons-nous finalement répondre à desquestions appliquées en immunologie tout comme en musique ?
90 12. Bilan
Recherche théorique. J’apprécie toujours de revenir aux structures de données et algorithmes,d’optimiser leur conception comme leur implémentation, et de communiquer ces résultats à lacommunauté d’algorithmique du texte, même si je n’y consacre aujourd’hui qu’une petite partiede mon temps. Des questions extrêmement appliquées que nous avons sur Vidjil (comparaison etévolution de répertoires) demandent ainsi des avancées théoriques sur l’indexation et la comparaisonde séquences recombinées (voir en particulier la thèse de Tatiana Rocher, p. 40). Pour vraimentpouvoir travailler sur les objets théoriques, nous avons besoin de définir très précisément le problèmeinformatique, parfois en simplifiant encore la modélisation.
Cet impact sociétal fondamental est tout aussi essentiel. En bioinformatique, depuis le débutde ma thèse en 2002, j’ai ainsi mené des travaux fondamentaux sur la comparaison de séquences,le parallélisme et les structures d’ARN, qui même s’il n’ont pas eu d’impact visible, ont approfondimon expertise, participé à la formation et à la recherche de nouveaux docteurs et préparé leterrain à Vidjil. Du côté d’Algomus, nous sommes pour l’instant plus dans une démarche théoriquede modélisation et d’algorithmisation de la musique.
Collectivement, c’est bien la présence de travaux plus fondamentaux réalisés par l’ensemble dela communauté de recherche qui permet que, à moyen et long terme, certains travaux aient unimpact sociétal appliqué.
Un travail d’équipe. Les recherches pluridisciplinaires théoriques comme appliquées demandentun effort impossible à faire seul, ne serait-ce que vu l’éventail des connaissances et techniques mo-bilisées. Ces cinq dernières années, ces projets Vidjil et Algomus ont été avant tout des projetscollaboratifs. Cette dimension collaborative de la recherche me plaît énormément, et je suis heureuxet fier d’avoir pu travailler et faire travailler des informaticiens avec des hématologues et des musi-ciens. Au quotidien, ce travail se déroule au sein de deux équipes formidables : Bonsai et Algomus.Leurs membres me surprennent tous les jours par l’apport de leurs compétences complémentaireset leurs questions inattendues.
Enfin, même si j’ai déjà passé un certain temps sur les bancs du conservatoire ou de la facde médecine, je ne suis pas hématologue ou immunologiste, ni théoricien de la musique... Les col-laborations avec des collègues non informaticiens sont essentielles. Depuis son début, fin 2011,le projet Vidjil est nourri par les besoins et les questions des hématologues biologistes. Algomusest plus universitaire. Nous avons commencé à travailler avec des musicologues, et, plus récem-ment, des artistes. Nous espérons pouvoir, dans les prochaines années, approfondir ce lien entrethéorie analytique et algorithmes d’informatique musicale et aspects théorique, pédagogiques, etartistiques. C’est ainsi que je vois la direction de recherche : créer, faire vivre et progresser desprojets scientifiques trans-disciplinaires, en s’appuyant sur les compétences internes et externes ànos laboratoires.
13
Bibliographie
13.1 Publications auxquelles j’ai contribué
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[3] Mathieu Giraud, Richard Groult et Florence Levé. Subject and counter-subject detection for analysisof the Well-Tempered Clavier fugues. In : International Symposium on Computer Music Modelingand Retrieval (CMMR 2012). 2012, 661–673 (! 43, 57, 64, 76).
[4] Hélène Barucq, Olivier Beaumont, Gérard Berry et al. Eléments pour une auto-appréciation desactivités de médiation scientifique. https://www.inria.fr/content/download/37522/741584/version/2/file/2012-mediation-fr.pdf. 2012 (! 87).
[5] Mathieu Giraud, Richard Groult et Florence Levé. Detecting Episodes with Harmonic Sequencesfor Fugue Analysis. In : International Society for Music Information Retrieval Conference (ISMIR2012). 2012 (! 43, 64, 76).
[6] Mathieu Giraud, Ken Déguernel et Emilios Cambouropoulos. Fragmentations with pitch, rhythmand parallelism constraints for variation matching. In : International Symposium on Computer MusicMultidisciplinary Research (CMMR). T. LNCS 8905. 2013, 298–312 (! 57, 58, 76).
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[8] Antoine Rousseau et al. Médiation Scientifique : une facette de nos métiers de la recherche. https://hal.inria.fr/hal-00804915. 2013 (! 87).
[9] Laurent David, Mathieu Giraud, Richard Groult, Corentin Louboutin et Florence Levé. Vers uneanalyse automatique des formes sonates. In : Journées d’Informatique Musicale (JIM 2014). 2014(! 65, 66, 76, 78).
[10] Mathieu Giraud, Florence Levé, Florent Mercier, Marc Rigaudière et Donatien Thorez. Modelingtexture in symbolic data. In : International Society for Music Information Retrieval Conference(ISMIR 2014). 2014 (! 60, 61, 76, 78).
[11] Mathieu Giraud et Marc Rigaudière. Algorithmes pour l’analyse de la musique tonale. In : RevueTechnique et Science Informatiques 33.7-8 (2014), 567–586 (! 45, 46, 48, 50, 55, 56).
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[14] Guillaume Bagan, Mathieu Giraud, Richard Groult et Emmanuel Leguy. Modélisation et visualisa-tion de schémas d’analyse musicale avec music21. In : Journées d’Informatique Musicale (JIM 2015).2015 (! 69, 71).
92 13. Bibliographie
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Figures et tables
0.1 Début du manuscrit de la fugue en Mi [ majeur BWV 852 de J.-S. Bach . . . . . . 2
1.1 Distance d’édition et code correcteur d’erreurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61.2 Alignement de mots . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71.3 Thèmes de recherche et doctorants encadrés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
2.1 L’immunité adaptative, coopération entre lymphocytes T, B, et d’autres cellules . 112.2 Structure d’un anticorps, chaînes lourdes et légères . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122.3 Recombinaison V(D)J . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122.4 Exemple de recombinaison VDJ sur le locus IgH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132.5 Développement lymphoïde et recombinaison des locus pour les lympohcytes B et T 142.6 Diversité du répertoire immunologique des lymphocytes B . . . . . . . . . . . . . . 152.7 Leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152.8 Exemples de reads en sortie d’un séquenceur haut-débit lors d’une étude de Rep-Seq 162.9 Stratégies pour le Rep-Seq . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
3.1 Un diagnostic immédiat du système immunitaire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193.2 Méthodes bioinformatiques pour le Rep-Seq . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213.3 Recherche en temps O(`) du meilleur palier (i, j) dans lequel se trouve la jonction V-J 243.4 Localisation approximative de recombinaison VJ à base de k-mots . . . . . . . . . 243.5 Détermination de la recombinaison VDJ d’une séquence par programmation dyna-
mique (phase 2) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253.6 Recombinaisons exceptionnelles dans le locus TR� . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
4.1 Traitement d’une read dans Vidjil (phase 1) et raisons de non-segmentation . . . . 284.2 Comparaison de la localisation du centre de la fenêtre par la phase 1 de Vidjil avec
les résultats de IgBlast et IMGT/HighV-QUEST . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294.3 Évaluation des désignations V(D)J faites par IMGT/V-QUEST, IgBlast et la phase 2
de Vidjil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 304.4 Architecture de la plateforme Vidjil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 314.5 Quelques séquences manuellement annotées (should-vdj.fa) . . . . . . . . . . . . 32
5.1 Résumé du protocole mis en place à Lille pour l’analyse des échantillons de diagnosticet de rechute des LAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
5.2 Suivi de leucémie aiguë . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
5.3 Stratification de patients atteints de LAL réalisée par la mesure de diversité ⇢c/r . 38
7.1 Motifs dans le thème de la Cane de Jeanne, de Georges Brassens . . . . . . . . . . 457.2 Partition de l’Oiseau de Feu de Stravinsky annotée par la pianiste Lydia Jardon . 467.3 Encodages informatiques d’une partition musicale : MIDI, **kern, MEI . . . . . . 51
8.1 Schéma de l’analyse de la fugue en Do mineur BWV 847 de Jean-Sébastien Bach . 558.2 Algorithme de Mongeau-Sankoff et variantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 578.3 Alignement entre motifs « a » et « b » du thème de la Cane de Jeanne, de Georges
Brassens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 578.4 Correspondance entre le thème et la variation mineure de Andante grazioso de la
sonate pour piano numéro 11 de Mozart (K 331) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 588.5 Analyse motivique de l’invention à deux voix BWV 775 de J.-S. Bach . . . . . . . 598.6 Détection d’un « motif contrapuntique » élémentaire dans un corpus de 185 chorals
de J.-S. Bach . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 598.7 Détection de strates polyphoniques dans l’introduction de la sonate op. 31 no 3 de
Beethoven . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 598.8 Séparation de voix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 608.9 Textures et mouvements parallèles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 608.10 Détection de cadences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 628.11 Début de la fugue en Do mineur BWV 847 de J.-S. Bach . . . . . . . . . . . . . . 648.12 Modèle de Markov caché utilisé pour prédire la structure de fugues . . . . . . . . . 658.13 Structure d’ensemble d’une forme sonate . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 668.14 Recherche du couple exposition/réexposition dans le premier mouvement du quatuor
à cordes K. 157 no 4 de W. A. Mozart . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 668.15 Modélisation par grammaire paramétrique de la structure musicale . . . . . . . . . 67
9.1 Extrait d’une vidéo produite par ly2video de la fugue en Do mineur BWV 847 . . 699.2 Modélisation et visualisation de schémas d’analyse avec music21 . . . . . . . . . . 719.3 Extrait de la partition analysée de la fugue en Do ] majeur BWV 848 de J.-S. Bach 729.4 Visualisation interactive de la fugue en Si [ majeur BWV 866 de J.-S. Bach . . . . 729.5 Les huit sujets des fugues du premier livre du Clavier bien tempéré de Bach où au
moins deux sources ont une définition différente du sujet . . . . . . . . . . . . . . . 739.6 Comparaison d’annotations de référence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 749.7 Annotations de référence sur la fugue en Si [ majeur BWV 866 de J.-S. Bach . . . 759.8 Analyses de références produites par Algomus et ses collaborateurs . . . . . . . . . 76
11.1 Actions de médiation scientifique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8311.2 Bioinformaticiens et médiateurs ayant animé l’atelier des « puzzles du génome » . 8411.3 Les puzzles du génome : assemblage d’ADN, structure d’ARN . . . . . . . . . . . . 8511.4 Prototype des « tapis musicaux », lors de la fête de la science 2014 à Amiens. . . . 8611.5 Mozart et les fonctions harmoniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
2 mars 2016 – 18:15
Comparer, et plus généralement traiter, analyser ou indexer les séquences de caractères constituele champ de recherche de l’algorithmique du texte. Chercheur CNRS en informatique depuis fin 2006dans le laboratoire LIFL, maintenant CRIStAL (UMR 9189, Université de Lille), Mathieu Giraud aeu son parcours académique rythmé par les comparaisons de séquences. Ce manuscrit d’habilitationdécrit les deux projets dans lesquels il s’est investi les cinq dernières années.
Au sein de l’équipe Bonsai, commune avec le centre Inria Lille, Mathieu mène avec MikaëlSalson un projet de bioinformatique appliqué à l’hématologie et l’immunologie sur l’analyse despopulations de lymphocytes par leurs recombinaisons V(D)J (« Compter les globules blancs »).Débuté par une collaboration avec des collègues bioinformaticiens et hématologues de l’hôpital deLille, ce projet combine algorithmique pour l’immunologie et l’hématologie, développement logicielet applications fondamentales et cliniques. Le logiciel Vidjil conçu par Mathieu et ses collèguesest utilisé régulièrement par plusieurs laboratoires en France et à l’étranger, dont, en situation deroutine, à l’hôpital de Lille.
Mathieu dirige aussi un projet d’informatique musicale (« Analyser les partitions »). Les hu-manités numériques lient les méthodes informatiques au patrimoine culturel et à la recherche ensciences humaines et sociales. Est-ce qu’un ordinateur peut comprendre la musique ? L’équipeémergente Algomus, répartie entre les laboratoires MIS (Amiens, Univ. Picardie Jules Verne) etCRIStAL, rassemble expertise musicologique et compétences algorithmiques pour proposer desméthodes analysant les partitions musicales – comparaison de motifs et d’accords, détection detextures, analyse de formes. Algomus mène des collaborations pluridisciplinaires avec des musi-cologues, des professeurs de musique et des artistes et réalise des projets combinant science etart.
Ce manuscrit se conclut par la description d’actions de médiation scientifique et artistique.
Research in text algorithmics focuses on comparing, analyzing, handling or indexing sequencesof characters. Working since 2016 as a CNRS researcher in computer science in the LIFL laboratory,now CRIStAL (UMR 9189, Université de Lille), Mathieu Giraud plays with sequence comparisons.This habilitation thesis focuses on two projects he worked on the last five years.
In the Bonsai team, joint with Inria, Mathieu leads with Mikaël Salson a project on bioin-formatics applied to hematology and immunology on the analysis of lymphocytes through theirV(D)J recombinations (« Counting white blood cells »). This project, started by a collaborationwith bioinformaticians and hematologists in the Lille hospital, combines research in algorithmicsfor immunology and hematology, software engineering and fundamental and clinical applications.The Vidjil software developed by Mathieu and his colleagues is now used by several labs in Franceand worldwide, sometimes in a routine hospital practice as in the Lille hospital.
Mathieu also leads a projet on computer music (« Analyzing music scores »). Digital humanitieslink computational methods to cultural heritage and humanities research. Can computers unders-tand music ? The Algomus emergent team, shared between the CRIStAL and the MIS (Universitéde Picardie Jules Verne, Amiens) labs, combines musicological knowledge and computer sciencemethods to propose algorithms analyzing music scores – with focus on patterns, chords and chordprogressions, music texture and high-level structure of music. Algomus collaborates with musictheorists, music teachers and artists, and contributes to science and art projects.
This thesis concludes by the description of some popular science events.